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LE LIVRE DE JONAS (8)
 
 LA DEMANDE TEMERAIRE : Chapitre 4 (v. 8)
 LE DIALOGUE : Chapitre 4 (v. 9-11)

 
LA DEMANDE TEMERAIRE : Chapitre 4 (v. 8)
 
            « Et il arriva que, quand le soleil se leva, Dieu prépara un doux vent d'orient, et le soleil frappa la tête de Jonas, et il défaillait, et il demanda la mort pour son âme, et dit : Mieux me vaut la mort que la vie ».
 
            Il n'y a bien souvent qu'un pas de la montagne de la joie à la vallée du deuil. Après une nuit passée sous le double abri de sa cabane et de son kikajon, Jonas se voit, privé tout à coup de la plante chérie qui lui avait servi d'abri ; et le soleil, qui paraît à l'horizon, le brûlera bientôt de tous ses feux.
            La chaleur est très élevée en Assyrie et dans tout l'Orient, tandis que la fraîcheur de la nuit y est souvent glaciale. Ces variations extraordinaires de la température justifient la plainte de Jacob à Laban : « De jour, la sécheresse me dévorait, et de nuit, la gelée » (Gen. 31 : 40). En Mésopotamie, l'Euphrate et le Tigre fument comme une piscine alimentée par  une source thermale. Si le voyageur fatigué se trouve exposé sans abri aux rayons du soleil, il soupire après l'ombre d'un rocher, qu'il désire plus que tous les trésors du monde. Jamais il ne sent mieux qu'alors la beauté de l'oracle d'Esaïe : « Voici, un roi régnera en justice… un homme qui sera… comme l'ombre d'un grand rocher dans un pays aride » (Es. 32 : 1-2).
            Habituellement, une épreuve ne vient pas seule. L'Eternel prépara, dès le lever du soleil, un doux vent d'orient. L'hébreu dit : un vent oriental tranquille ou subtil, c'est-à-dire un vent qui agitait à peine l'air, augmentant plutôt la chaleur. Il pouvait ressembler à celui que les Arabes appellent « simoun », un vent qui s'élève au contact des sables du désert. A mesure qu'il s'approche, les nuages prennent une couleur pourpre, et tout le ciel prend un aspect sombre et alarmant. Dans les contrées où le simoun exerce ses ravages, en Turquie, en Perse, en Egypte, il brûle les moissons, consume les hommes et les bêtes et détruit tout ce qu'il trouve sur son passage. L'Ecriture fait de fréquentes allusions à ce vent pestilentiel (Job 27 : 21 ; Jér. 4 : 11 ; Ezé. 17 :10 ; Osée 13 : 15 par exemple.). Comme il ne souffle généralement qu'à  cinquante centimètres du sol environ, ceux qui pressentent sa venue n'ont le temps de sauver leur vie qu'en se jetant immédiatement à terre.
            Si donc, comme il est permis de le croire, le vent qui souffle tient réellement d'un simoun même léger, la détresse de Jonas s'explique aisément. La fièvre le dévore et ses forces physiques et morales l'abandonnent.
 
            On a pu lire, dans cette page de l'Ecriture, tout le dépit de Jonas à la vue du salut de Ninive et l'espoir qu'il conserve de la voir périr sous le jugement de Dieu ; on a vu l'isolement, l'abandon, les privations et les souffrances auxquelles Jonas se condamne, comme s'il avait décidé de s'infliger lui-même le châtiment qu'il méritait ; il se crée un abri incertain, puis profite de celui que la compassion de Dieu lui envoie, mais lui retire ensuite ; il défaille enfin sous ce vent qui le brûle. Mais il nous semble qu'on ne peut lire tous ces détails, sans penser à la nation juive que représente le prophète. On se rappelle la haine d'Israël pour les Gentils, son dépit et sa colère de les voir, par la foi et par la repentance, devenir participants du salut de Dieu. On se souvient aussi de toutes les tribulations que la méchanceté de ce peuple a justement attirées sur lui, comme aussi de la protection miraculeuse dont le Seigneur l'a miséricordieusement entouré pendant sa longue révolte contre le ciel (Es. 8 : 21-22 ; Zach. 5 : 6-11).
 
            C'est au moment où le prophète va sentir toute la valeur de son kikajon, que cet abri lui manque. Au lieu d'en jouir comme il l'avait espéré, un tourbillon douloureux fond sur lui. N'en est-il pas souvent ainsi lorsque nous attendons que notre bonheur vienne des hommes ? C'est quand nous disons : Le jour va enfin paraître ; je me lèverai et me reposerai à l'ombre de mon kikajon, que la main de Dieu détruit subitement cette agréable retraite. Nos espérances s'envolent, la consolation nous fuit, la douleur s'installe et va demeurer jusqu'à ce que nous ayons appris la grande leçon : « Vanité des vanités… tout est vanité ! » (Ecc. 12 : 8).
            Jonas s'étonne, et ne comprenant pas l'intention du Seigneur, murmure et souhaite mourir. Bien souvent, nous ne comprenons pas mieux que lui la pensée de Dieu quand Il juge à propos de nous priver de nos appuis terrestres. Nous nous étonnons, nous murmurons peut-être, oubliant que, par l'épreuve, Il veut détacher notre coeur des choses périssables pour le lier irrévocablement à ce qui demeure. Il veut répondre à tant de prières que son amour fidèle a soigneusement recueillies pour les exaucer en son temps et à sa manière.
            Un cantique anglais exprime admirablement cette pensée.
            J'avais supplié le Seigneur de me faire grandir en foi, en amour, en spiritualité ; de me faire mieux connaître son salut et m'aider à rechercher votre face avec plus d'ardeur.
            C'était Lui-même qui formait en moi de tels voeux, et c'est Lui-même aussi qui a daigné les réaliser ; mais, de quelle manière inattendue ... Par un moyen qui a failli me conduire au désespoir !
            Je croyais que l'heure attendue viendrait où, exauçant tout à coup mes soupirs, la puissance victorieuse de Son amour soumettrait enfin mes penchants rebelles et donnerait enfin à mon âme un repos durable. 
            Mais qu'a donc fait le Seigneur ? Il m'a révélé les plaies de mon coeur et a permis aux puissances de l'ennemi d'assaillir à l'envie mon âme.
            Sa main, sa propre main, semblait même vouloir aggraver mes maux ; elle a renversé tous mes plans de bonheur, abattu mon kikajon, brisé entièrement mon coeur.
            Seigneur ! me suis-je alors écrié plein d'effroi, me poursuivras-tu jusqu'à la mort ? C'est ainsi, m'a-t-Il répondu, que j'exauce ta prière ; oui, c'est par de tels moyens que je veux t'accorder une plus grande mesure de mes grâces. 
            Toutes ces épreuves, c'est Moi qui te les dispense, pour t'affranchir de l'orgueil et de l'activité de la chair ; pour anéantir tes projets de bonheur terrestre et t'obliger à chercher enfin ton repos en Moi seul.
 
            Ce cantique montre la façon d'agir du Seigneur envers les siens ; nous ne comprenons pas toujours ce qu'Il fait ; mais l'heure vient où ce qui nous aura fait répandre les larmes les plus amères sera peut-être le thème des plus ardents « alléluia » !
            Accablé par ses maux, Jonas défaille. L'homme est une faible créature ! Mais Dieu prend-Il plaisir à voir Jonas dans cet état, sous l'effet du vent et du soleil ? Non, assurément. Les pères de notre chair nous ont disciplinés selon qu'ils l'ont trouvé bon ; le « Père des esprits » nous discipline avec justice et toujours pour notre profit (Héb. 12 : 5-11). Par sa discipline paternelle, il a purifié le prophète, lui apprenant à bien faire (Es. 1 : 16). Entre autres leçons, Il lui a enseigné l'humilité. Cette leçon, nous en avons tous besoin ; le Seigneur prend soin de nous la donner. Il commande au vent et au soleil de l'épreuve de frapper notre esprit et notre coeur endurcis. Il ne trouve pas son plaisir à nous voir souffrir, mais Il veut que ce soit pour nous le moyen d'apprendre la sympathie et l'humilité par le sentiment de notre faiblesse et de notre fragilité.
            Que dire de la requête que la douleur arrache au prophète ? Il exprime à nouveau le souhait de quitter ce monde. « Mieux me vaut la mort que la vie » (v. 8). C'est un voeu plutôt égoïste : Puisque Ninive, semble-t-il soupirer, continue de vivre et que mon kikajon a péri, que je meure aussi ! C'est aussi le voeu de la colère, un cri de protestation plutôt qu'une prière. De telles façons de nous adresser à Dieu, loin de diminuer notre culpabilité, ne font, au contraire, que l'accentuer. C'est une requête exprimée par un coeur qui change rapidement d'attitude selon les circonstances favorables ou défavorables.
            Le désir exprimé par Jonas est aussi celui de l'ingratitude. Pourquoi désirer ainsi la mort, au moment où l'on peut espérer, par la bonté de Dieu, accomplir encore un service utile à Sa gloire ? C'est donc un voeu irréfléchi. Heureusement, le Seigneur, au lieu de le prendre au mot, a décidé que pour Jonas la vie vaut mieux, pour l'instant, que la mort !
            Le souhait de Jonas ne nous surprend pas : c'est celui de l'homme naturel ; la chair répugne à souffrir. Il appartient à la grâce de nous réconcilier avec l'épreuve, en nous la faisant connaître comme une discipline du Père et une occasion fournie au Fils de déployer sa puissance dans notre infirmité (2 Cor. 12 : 9).
            Louez la vie tant qu'il vous plaira ; mais, depuis la chute, elle ressemble à cette veuve qui revenait en Israël en disant : « Ne m'appelez pas Naomi (mes délices), appelez-moi Mara (amère) » (Ruth 1 : 20).
            L'homme qui est encore dans ses péchés, en proie à la souffrance, appelle la mort de tout son coeur et l'envisage comme le terme de ses difficultés. Il se montre en fait insensé ! Il voudrait être libéré de ses peines actuelles, mais il oublie qu'après la mort, vient le jugement! (Héb. 9 : 27). Il lui tarde d'en finir avec la vie et ses afflictions. Pourtant commencera alors pour lui l'éternité et ses tourments ! Il appelle de ses voeux « le jour de l'Eternel ». Malheur à vous qui désirez ce jour ! dit le prophète. A quoi vous servira-t-il ? Ce seront les ténèbres ; il n'y aura pas de lumière (Amos 5 : 18).
            L'homme naturel demande à grands cris la mort alors qu'il n'a pas reçu, dans son coeur, ce qui pourrait le préparer pour le ciel. Il a, au contraire, en lui, ce qui peut le conduire au feu inextinguible. Pauvre pécheur, ton aveuglement est effrayant !
            Une femme infidèle, qui se trouve avec son amant à la maison, et que son époux vient surprendre au moment où elle le croyait encore absent, ouvrira-t-elle aussitôt la porte à son mari qui frappe ? S'empressera-t-elle d'aller recevoir un époux dont elle doit craindre la juste indignation?
            Le méchant économe qui a dépensé tout le bien de son Seigneur, ou le dépositaire paresseux qui a enfoui dans le sol le talent de son maître, entendraient-ils avec joie la voix qui leur dit : « Rends compte de ta gestion » ? (Luc 16 : 2). Quel amour, quelle longanimité te retient encore, pécheur, comme malgré toi, sur la terre des vivants, auprès de la fontaine encore ouverte pour laver la souillure, et d'où jaillissent des eaux qui apportent la vie et le salut !
 
            Il serait utile pour notre instruction, de comparer maintenant la demande de Jonas à d'autres souhaits plus ou moins analogues que contient la Parole de Dieu.
            Dégoûté de la manne et rempli de convoitise, le peuple, à Tabhéra, se met à pleurer et à dire : « Qui nous fera manger de la chair ? Il nous souvient du poisson que nous mangions en Egypte pour rien, des concombres, et des melons, et des poireaux, et des oignons, et de l'ail ; et maintenant… il n'y a rien si ce n'est cette manne devant nos yeux » (Nom. 11 : 4-6). Moïse, ayant entendu le peuple qui pleurait chacun à l'entrée de sa tente, en ressent une vive peine. Il dit à Dieu : Pourquoi as-tu fait ce mal à ton serviteur ? et pourquoi n'ai-je pas trouvé grâce à tes yeux, que tu aies mis sur moi le fardeau de tout ce peuple ?... D'où aurais-je de la chair pour en donner à tout ce peuple ?... Je ne puis, moi seul, porter tout ce peuple, car il est trop pesant pour moi. Si tu agis ainsi avec moi, tue-moi donc, je te prie, si j'ai trouvé grâce à tes yeux, et que je ne voie pas mon malheur » (Nom. 11 : 11-15). Le voeu exprimé par Moïse, semblable dans sa forme à celui de Jonas, en diffère beaucoup quant au fond. D'abord, Moïse demande à mourir s'il doit continuer à porter lui seul tout ce peuple car il appréhende de succomber sous le fardeau ; mais s'il reçoit de l'aide et ne voit point son malheur, il consent à vivre, heureux de servir encore Celui qui l'a honoré d'un si beau service. Mais Jonas veut mourir, que Dieu l'assiste ou non. De plus, Moïse désire la mort parce qu'il craint de fléchir sous le poids d'une administration difficile, fatigante, compliquée. La dureté de coeur des Juifs Israélites la rend plus pénible encore. Depuis longtemps, il porte seul tout ce fardeau ; Jonas, au contraire, veut mourir à l'instant même, après quelques jours d'un ministère difficile, mais merveilleusement béni : les heureuses dispositions  des Ninivites l'ont abondamment prouvé.
            Rapprochons aussi le voeu de Jonas de celui d'Elie. Achab venait de rapporter à Jézabel tout ce qu'Elie avait fait et comment il avait frappé de l'épée tous les prophètes de Baal. Aussitôt, dans sa fureur, Jézabel envoie un messager à Elie pour lui signifier de sa part que le lendemain, à la même heure, il connaîtra le même sort qu'eux. Le prophète se lève donc pour s'enfuir au désert. Là, assis sous un genêt, il épanche son coeur devant Dieu, décrit son angoisse en ces termes : « C'est assez ! maintenant, Eternel, prends mon âme, car je ne suis pas meilleur que mes pères » (1 Rois 19 : 4) ! La prière d'Elie, comme celle de Moïse, ressemble dans la forme à celle de Jonas ; mais elle en diffère encore plus quant au fond. Elie, en effet, poursuivrait avec joie son pénible ministère, s'il n'avait pas appris que la méchante Jézabel en voulait à sa vie ; alors il préfère mourir de la main de Dieu plutôt que de périr sous le glaive de cette princesse sanguinaire. Puis, l'accablante pensée de l'inutilité supposée de son ministère accroît encore en lui le désir de quitter un monde où l'on veut lui faire du mal, et auquel - il s'en persuade - ne peut faire aucun bien. Mais, pour Jonas, ni le roi de Ninive ni son peuple ni personne au monde, ne le recherche pour le tuer ; tous, au contraire, voudraient peut-être lui multiplier le témoignage de leur dévouement. Son ministère au milieu d'eux vient d'être béni comme jamais ne l'avait été encore, semble-t-il, le ministère d'aucun homme. Il ne tiendrait qu'à lui qu'il le soit encore davantage. Elie veut mourir lorsqu'on le poursuit, et Jonas quand on serait sans doute disposé à l'honorer. Elie ne voit pas, ou ne croit pas voir, le fruit de ses travaux ; Jonas, le voit de ses yeux et il devrait en bénir Dieu ! Ajoutons que, tandis que Jonas déçu veut absolument mourir, Elie découragé mais soumis, se contente de répandre devant Dieu sa plainte et, comme autrefois Moïse, Lui expose le voeu de son coeur. Aussi, quand le Seigneur commande à Elie d'aller oindre Hazaël et Jéhu pour rois, l'un sur Damas, l'autre sur Samarie, et Elisée comme prophète à sa place, le voyageur poursuit son rude pèlerinage ; il achève, résigné, sa journée. S'il y a sans doute de l'orgueil dans l'exclamation de Jonas, on trouve plutôt de l'humilité et de la soumission à la volonté de Dieu dans la prière d'Elie.
            Il y a encore dans l'Ancien Testament d'autres voeux qui ressemblent plus ou moins à celui de Jonas. Par exemple celui de Job ou de Jérémie (Job 7 : 15-16 ; Jér. 20 : 14-18). Comparer ces voeux à celui du prophète de Gath-Epher donne lieu à des réflexions du même genre que celles que nous venons de présenter ; mais tous semblent empreints de l'esprit de la Loi. Hâtons-nous donc d'arriver à ce qu'on peut nommer un voeu selon l'esprit de l'Evangile.
 
            Paul, prisonnier pour Jésus à Rome, désire quitter enfin sa « tente », ce corps mortel, pour s'en aller auprès de son Sauveur. Il déclare : « Pour moi, vivre, c'est Christ, et mourir, un gain ; mais si j'ai à vivre dans le corps, j'aurai du fruit de mon travail ; et ce que je dois choisir, je n'en sais rien. Je suis pressé des deux côtés : j'ai le désir de partir et d'être avec Christ, car c'est de beaucoup, meilleur ; mais il est plus nécessaire à cause de vous que je demeure dans le corps. Et - j'en suis convaincu - je sais que je resterai et que je demeurerai auprès de vous tous pour votre progrès et la joie de votre foi » (Phil. 1 : 21-25). Tel est le voeu de l'apôtre. Or ce désir n'est pas celui de la fatigue ni du découragement ; il ne provient pas de quelqu'un d'accablé, encore moins d'un coeur qui murmure ; c'est le souhait d'une piété soumise, d'un coeur dévoué à Jésus et à ses frères. A bien des égards, c'est donc vraiment un souhait admirable ! Remarquons l'état spirituel de celui qui l'exprime : Christ, dit-il, est ma vie et la mort m'est un gain. Une telle foi ne peut désirer la mort. Le chrétien sait où il va après cette vie ; si donc, avec l'apôtre, nous pouvons dire : Christ est ma vie et mourir un gain - comme lui, nous pouvons désirer quitter ce monde.
            Ce voeu de l'apôtre est empreint de vérité, de simplicité et de mesure : il a le désir de s'en aller pour être avec Christ ! Combien son langage diffère de celui qui ne traduit parfois qu'une impatience charnelle et fébrile. Considérons en outre pour quel motif Paul désire déloger. Ce n'est pas seulement pour quitter ce monde, avec ses peines et ses combats ; c'est pour être avec Christ. Pouvoir alors Le contempler face à face, l'aimer enfin comme Il doit l'être et chanter éternellement son amour. Moins préoccupé des fatigues de la route que du bonheur dont il jouira auprès du fidèle et tendre Ami de son âme, Paul languit d'arriver à destination. D'autres, absorbés par les peines et les difficultés du voyage, voudraient le voir se terminer brusquement alors que le voeu de l'apôtre respire l'oubli de soi, l'amour du Seigneur et l'attente de la perfection. Nos voeux, nos désirs profonds, sont souvent empreints d'égoïsme.
            Admirons, comment Paul soumet à Dieu son désir, se montrant tout disposé à différer son départ aussi longtemps que le Seigneur le voudra. Représentez-vous une femme éloignée de son époux. Celui-ci lui écrit de venir le rejoindre mais sans amener avec elle son petit enfant ; l'épouse désire ardemment venir auprès de son mari mais son coeur s'émeut en pensant au frêle enfant qu'elle doit quitter et qui a besoin d'elle ; elle se trouve péniblement tiraillée entre les deux objets de son affection : son amour conjugal la pousse vers l'un, et sa tendresse maternelle la retient vers l'autre. Tel était le dilemme de Paul. Il aspirait à être uni à son Epoux divin ; néanmoins, il était prêt à rester ici-bas avec ses frères, aussi longtemps que l'exigeaient le bien de leurs âmes et la gloire de Dieu. L'intérêt personnel a de moins en moins de place dans ses voeux : c'est l'amour pour le Seigneur et pour son Eglise qui domine ses pensées. Il subordonne son bien-être aux intérêts de Jésus Christ.
            Paul n'ignorait pas les conséquences d'un séjour prolongé sur la terre ; il avait déjà passé bien des jours dans la souffrance et dans les chaînes. C'était d'une prison qu'il écrivait. Mais la grâce de Jésus lui suffisait ; il avait appris que nul ne doit vivre pour lui-même. Sa vie même ne lui était pas précieuse. Son seul désir était d'achever sa course et de poursuivre le ministère reçu du Seigneur Jésus en continuant d'annoncer la bonne nouvelle de la grâce de Dieu.
 
            Nous qui sommes invités à imiter le bien, que notre désir de déloger ne soit pas celui d'un Jonas irrité ou même d'un Moïse fatigué, ni celui d'un Elie découragé ou d'un Jérémie accablé. Qu'il soit plutôt celui de Paul rempli de foi et d'espérance, étreint par l'amour de Christ. Que nous soyons fondés sur une foi vivante en Jésus Christ, caractérisée par la vérité, de la mesure et la sobriété d'un désir humblement soumis à la volonté de Dieu. Que nous ayons le désir de déloger pour être avec Christ, dans cette attente, le désintéressement d'un coeur prêt à se sacrifier à la gloire du Seigneur.
            C'est l'indice d'un bon état spirituel. Le chrétien attend le départ, mais en restant à son poste et jusqu'au moment que le Maître a fixé. Il ne cherche pas à devancer l'heure, en formulant par exemple des voeux inopportuns. Il sait qu'il peut y avoir de la piété à désirer la mort mais quelquefois plus encore à supporter la vie. Ni la vanité de la créature ni les peines liées à cette courte existence ni même les afflictions dans l'Eglise de Dieu, ne sont de vraies raisons pour désirer quitter ce monde.
            Attiré vers la céleste patrie par l'amour de Jésus, le croyant s'écrie : « Tes autels, ô Eternel des armées ! Mon roi et mon Dieu ! » (Ps. 84 : 3). Il dit : « Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant. Quand viendrai-je et paraîtrai-je devant Dieu ? » (Ps. 42 : 2).
            Nous avons vu que le voeu de Paul est, à bien des égards, un modèle pour nous. Nous en connaissons cependant un autre qui semble avoir plus de droits à ce titre : c'est celui que l'Esprit Saint lui-même formule à la dernière ligne de la Bible et qu'Il inscrit dans le coeur de tous les rachetés : « Viens, Seigneur Jésus ! » (Apoc. 22 : 20).
            Ce que l'Esprit nous incline à demander, si nous le laissons agir librement en nous, c'est la vie, non la mort, c'est la rédemption du corps, le jour de Christ, la résurrection des saints, plutôt qu'un départ individuel de ce monde. Le chrétien dirigé par le Saint Esprit n'est pas comme Jonas qui ne songe qu'à lui-même et à son bien-être.
            Un chrétien conséquent désire la gloire de Jésus manifestée dans la délivrance de l'Eglise, qui est son Corps. Il soupire par l'Esprit, dans l'attente de l'adoption, de la révélation des fils de Dieu. Il « hâte », de toute l'ardeur de ses désirs, la venue du jour de Dieu (2 Pier. 3 : 12). C'est pour lui le voeu par excellence, celui que l'Esprit inspire à l'Epouse. Qu'Il veuille le mettre dans notre coeur à chacun !
            Jésus termine la Révélation par ce solennel avertissement répété par trois fois : « Je viens bientôt » (Apoc. 22 : 7, 12, 20). Puissions-nous lui répondre avec empressement : Oui, Seigneur Jésus, viens ! ».
 
 
 
LE DIALOGUE : Chapitre 4 (v. 9-11)
 
 
            « Et Dieu dit à Jonas : Fais-tu bien de t'irriter à cause du kikajon  ? Et il dit : Je fais bien de m'irriter jusqu'à la mort. Et l'Eternel dit : Tu as pitié du kikajon pour lequel tu n'as pas travaillé, et que tu n'as pas fait croître ; qui, né en une nuit, a péri en une nuit ; et moi, je n'aurais pas pitié de Ninive, la grande ville, dans laquelle il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne savent pas distinguer entre leur droite et leur gauche, et aussi beaucoup de bétail ! ».
 
 
            Quel Livre que la Bible, et dans la Bible quel livre que celui de Jonas ! Et quelle page le termine ! Quels interlocuteurs et quel dialogue ! C'est une étonnante révélation de nos plaies et la manifestation plus étonnante encore de la longanimité de Dieu !
            Dieu demande à Jonas s'il fait bien de s'irriter ainsi pour ce kikajon.
C'est la répréhension d'un père sage et compatissant, désirant corriger son enfant de peur qu'il ne s'égare davantage. Il raisonne avec lui pour le ramener à son bon sens. Quelle douceur dans la forme du reproche et quelle charité dans le fond.
            Ce que le Seigneur reprend chez Jonas, ce n'est pas, remarquez-le bien, sa tristesse ou son chagrin, mais uniquement son dépit, sa colère. Libre au prophète de pleurer son kikajon ; mais s'irriter contre Celui qui l'a fait sécher et montrer son dépit à son divin Bienfaiteur, c'est tout autre chose ! Voilà ce que Dieu condamne justement en lui.
            « Fais-tu bien de t'irriter pour ce kikajon ? » (v. 9). Que de choses en peu de mots ! Fais-tu bien, toi, créature intelligente, de te montrer vexé d'être privé d'une plante éphémère. Devrais-tu compter sur un faible arbrisseau ? Tu as perdu une plante certes, mais fleurir un instant, puis se faner et périr, n'est-ce pas la destinée commune de toutes les plantes ? Ta douleur ou ta colère te rendront-elles l'arbuste que tu regrettes, et ton dépit changera-t-il quelque chose à ton sort ? A la place de cet asile  d'un jour, Dieu ne peut-il pas t'en donner un autre plus sûr et plus commode ? Et Lui-même ne demeure-t-il pas ton abri ? Si Jonas a perdu cette plante, a-t-il perdu Celui qui l'a fait croître ? La créature ose-t-elle dire au Créateur : « Qu'as-tu fait ? ».
            Tel est l'amour de Dieu ; étudions-nous à l'imiter. Comme Lui, reprenons celui qui pèche, mais dans un esprit de douceur et de compassion ; au lieu de l'irriter par des paroles pleines de fierté, au lieu d'envenimer ses plaies par des expressions acerbes, avertissons-le plutôt avec bonté ; ménageons les esprits susceptibles, les coeurs irritables ; montrons surtout du support envers ceux qui nous ont blessés personnellement, désirant plutôt les gagner (Matt 18 :15) que les humilier ou les confondre. Cherchons à les amener aux pieds du Sauveur au lieu de les forcer à s'abaisser devant les nôtres. Si Dieu reprend avec tant de miséricorde celui qui s'égare, qui sommes-nous pour lui reprocher amèrement ses fautes ? Que le Seigneur extirpe enfin de notre coeur ce malheureux orgueil qui semble dire - tout bas - au prochain : « Tiens-toi loin, ne me touche pas, car je suis saint vis-à-vis de toi » (Es. 65 : 5) ; en même temps, qu'Il mette en nous un peu de cette compassion dont Il est lui-même rempli.
            Avertir dans un esprit d'amour est aussi le véritable moyen d'être écouté par autrui. Une chose par-dessus tout assure, en effet, le succès de la répréhension : c'est l'ambition de réussir, inspirée par l'amour. Aimons donc, et nous apprendrons comment reprendre si nécessaire. Alors, semblable à la flèche d'un habile tireur d'arc recherchant le bien de ses compagnons, notre parole fraternelle, sans blesser le pécheur, dénoncera le péché. Mais aussi longtemps que nous n'avons pas d'amour, taisons-nous ; réservons pour nous-mêmes nos pieux reproches et nos colères que nous osons si facilement qualifier de saintes ; ôtons la poutre qui est dans notre oeil avant de songer à extraire la paille qui est dans celui de notre prochain.
 
            Le reproche de l'Eternel à Jonas donne lieu à d'autres réflexions. Ce reproche portait plutôt sur son irritation que sur son abattement. Il faut en effet, distinguer soigneusement les deux. La tristesse est souvent inévitable et, dans ce cas, puisse-t-elle être adoucie par la paix qui vient du Consolateur. Libre à nous comme à Jonas, de pleurer quand Dieu nous ravit ce que nous aimons parce que nous l'aimions trop, ou que nous l'aimions mal ; libre encore à nous de nous écrier : Epargne-nous, Seigneur ! Nous pouvons répandre devant Dieu des larmes qu'Il ne condamne point. Nous pouvons même Lui dire : « Que ce ne soit pas peu de chose devant toi que toutes les peines qui nous ont atteints » (Néh. 9 : 32). Mais acceptons franchement le châtiment qu'Il lui plaît de nous infliger. Reconnaissons que ce châtiment est bien au-dessous de ce que nous avons mérité.
            Il est préférable que nos « abris », que nos idoles périssent l'un après l'autre. Mais c'est souvent quand Dieu nous fait le plus de bien que nous murmurons ; c'est lorsqu'Il s'oppose à nos projets terrestres en déjouant nos vaines espérances et en brisant nos faux appuis. Nous nous plaignons quand, par l'épreuve, Il nous retient ou nous ramène sur le chemin du ciel. Alors, nous imitons les Hébreux au désert qui disaient à Moïse : Pourquoi nous as-tu fait sortir d'Egypte pour nous amener dans cette solitude ? Ces hommes se plaignaient amèrement du Seigneur, au moment même où sa puissance et son amour les conduisaient sûrement vers le bon pays de la promesse.
            Au reste, telle est la chair. Elle répugne avoir à souffrir ; elle voudrait la prospérité, toujours la prospérité. Un agréable ombrage, jamais de soleil ardent. Si malheureusement pour nous, le Seigneur exauçait le voeu de notre folie, il n'y aurait plus de vrai bonheur. Mais Il sait que la correction paternelle est tout aussi nécessaire à notre âme qu'un médicament désagréable peut parfois l'être à notre corps. Il nous l'envoie en sa saison, avec la mesure convenable. Tour à tour, il fait couler nos pleurs, puis vient les essuyer. Il nous laisse jouir en paix d'un temps du repos puis nous expose à tous les coups de la tempête. Oserions-nous lui dire : Que fais-tu, Seigneur ? Et prétendre lui montrer de quelle manière Il doit traiter ses chers malades ? Sombres ou riantes, toutes Ses dispensations ne sont-elles pas également bonnes, toujours à leur place et en leur temps ? Qu'Il donne ou qu'Il ôte, apprenons à dire : « Quant à Dieu, sa voie est parfaite » (Ps. 18 : 30).
            Nous venons d'apprendre avec quelle paternelle bonté Dieu a repris Jonas. Ecoutons maintenant ce que lui répond le prophète : « J'ai bien fait de m'irriter jusqu'à la mort » (v. 9b). Quand l'homme lutte avec Dieu, il ose se montrer parfois plus violent et plus obstiné que s'il conteste avec son prochain. La raison en est simple : d'abord, la chair est inimitié contre Dieu et la conscience de l'homme lui crie qu'il est l'offenseur et doit s'attendre à une discipline qu'il a bien méritée ; enfin, s'il lutte avec son semblable, l'homme a l'espoir de vaincre mais, contraint de plier sous la puissante main de Dieu, il s'aigrit et s'irrite.
            Ni les jugements de Dieu, ni ses bienfaits, n'ont pu jusqu'ici vaincre l'obstination du prophète : élevé par la bonté du Seigneur, enseveli par Lui dans les abîmes, puis délivré par un miracle de son amour, nous le retrouvons jusqu'au bout fidèle, hélas, à son fâcheux caractère. Il est heureux d'avoir affaire à un Dieu plein de longanimité ! L'Eternel contrarie sa volonté, refuse de répondre à ses désirs, ruine ses espérances : il ne se contient plus, il s'irrite et montre sa folie. Un feu intérieur le consume, ardent comme celui qu'il avait « souhaité » aux Ninivites. Le coeur ne se serre-t-il pas de le voir parler à nouveau comme il le fait à son Dieu, à son suprême Bienfaiteur ? Et pourtant, il y a dans ce caractère quelque chose d'attachant : la franchise de Jonas, malgré ce qu'elle a de rude et même de coupable, choque beaucoup moins que les hypocrites fadaises du formaliste dans ses dévotions devant Dieu, ou l'hommage mensonger qu'il ose déposer devant Lui !
            De nouvelles instructions découlent pour nous de ce nouveau trait de caractère du prophète. D'abord, nous y voyons que ce sont, en général, ceux qui ont le moins de reconnaissance pour les bienfaits de Dieu pendant qu'ils en jouissent, qui se plaignent ensuite le plus amèrement quand ils en sont dépouillés. Leur coeur naturel, dur, orgueilleux reçoit sans gratitude des biens auxquels ils croient avoir des « droits ». De même quand ces biens lui sont ôtés, il ne sait que se plaindre et murmurer ; alors qu'une âme chrétienne, humiliée, rendue sensible par le Saint Esprit, sent que tout est pure grâce et remercie Dieu pour ses moindres faveurs dont elle se reconnaît complètement indigne. Si elle souffre quand Dieu les lui retire, elle ne murmure pas. Elle sait d'ailleurs qu'Il demeure à toujours la part suprême de son enfant et que toutes choses concourent au bien de ceux qui l'aiment.
            Le croyant vraiment pieux est du même avis qu'un cher lépreux hottentot, pauvre dans le monde, mais riche quant à Dieu. Il s'exprimait à peu près dans ces termes : J'avais travaillé assez longtemps pour me bâtir une maison ; au moment où j'allais l'achever, une inondation l'a détruite ; mais ce que fait le Seigneur est toujours juste et bon. Le chrétien fidèle parlera aussi comme cette épouse remarquable du missionnaire Senseman. Elle avait déjà vu son mari périr sous l'assaut des Indiens révoltés et mourir dans les flammes d'un terrible incendie presque tout le personnel de la mission morave de Pennsylvanie. En tombant à son tour au milieu des débris ardents de sa maison où elle n'a pas tardé à être consumée, elle s'est écriée : Cher Sauveur, tout est bien ! 
 
            La méchante réponse de Jonas révèle toujours mieux à chacun la profonde misère de l'homme. Il est ainsi dans sa nature, aussi longtemps que la puissante grâce de Dieu ne l'a pas maîtrisé. Voici notre coeur pris à nouveau sur le fait. Malheur à celui qui écoute ses inspirations ! Plus il lâchera la bride à ses mauvais penchants, à l'impatience, au dépit, à la colère, plus ils le domineront. L'esprit scandalisé sous l'effet de la colère endurcit le coeur, compromet et fausse la règle du devoir. On est entraîné non seulement à faire le mal mais à le justifier ! On apaiserait plus vite la mer agitée qu'on ne fait taire le pauvre coeur humain, une fois qu'un esprit de révolte s'en est emparé. Il estime avoir raison et pense que le prochain a tort ; Dieu lui-même a toujours tort aux yeux d'un tel homme. Tout ce qu'il dit est bien dit, tout ce qu'il fait est bien fait.
            L'esprit de révolte, la colère sont des feux cachés dans l'être intérieur. Si ces charbons ardents jaillissent de ce coeur enflammé, de temps en temps vous en recevrez des éclats. Mais l'infortuné a ce brasier dans son sein ! Il est dans une fournaise et le Fils de Dieu n'y est pas avec lui.
            Craignons de nous frapper nous-mêmes en frappant autrui. Tel lecteur dira peut-être : Si je me suis plus d'une fois irrité contre les hommes, au moins n'ai-je jamais blasphémé contre Dieu ! Mais pouvez-vous dire, en vérité, qu'un blasphème n'a jamais souillé vos pensées ? Voudriez-vous que Dieu vous remette en mémoire les dialogues secrets de votre coeur avec Lui ? Au surplus, le connaissez-vous à fond, ce coeur méchant, et savez-vous ce qu'il peut vous réserver d'humiliations et de douleurs ?
            Un changement profond survient dans nos circonstances, nos plans chéris sont détruits, notre volonté contrariée, nos passions surexcitées ; c'est alors qu'on voit si cette nature qui paraissait si calme ne s'agite pas. Le vent soufflera, l'orage grondera, et les mêmes manifestations de la propre volonté, les mêmes contestations entre le Créateur et la créature, les mêmes dépits surgiront. Et qui sait alors s'il n'y aura pas des paroles blasphématoires. Certains, niant leur parenté avec Jonas, refusent d'en convenir. Mais connaissant un peu ma faiblesse, je supplie : Seigneur, épargne ton enfant !
            Comment Dieu a-t-il reçu la fière réponse du prophète ? Toujours miséricordieux, lent à la colère et riche en grâce, Il répond : Tu as pitié du kikajon pour lequel tu n'as pas travaillé, et que tu n'as pas fait croître ; qui, né en une nuit, a péri en une nuit ; et moi, je n'aurais pas pitié de Ninive… ? (v. 10-11).
            Que de leçons cette courte et sublime apologie de Sa conduite, la Majesté divine donne ici. Si on pense parfois discerner de la pitié chez un homme, méchant par nature, comment mieux ce caractère convient au « Père des miséricordes » (2 Cor. 1 : 3) ? Condamnerais-tu en Dieu ce que tu justifies en toi.
            Jonas aurait voulu que ce faible arbuste survive - cette plante chétive, qu'une nuit avait vu naître, et la nuit suivante s'évanouir. Dieu ne devait-Il pas épargner cette vaste métropole où tant d'hommes vivaient ? Le Créateur n'aurait-il pas compassion de tant d'âmes immortelles dont une seule valait bien plus que tous les ricins. Tous les gains dans ce monde ne compenseraient pas la perte d'une seule de ces âmes !
            Mais voici d'autres raisons à faire valoir pour la cause de Dieu (Job 36 : 1). Quel motif Jonas a-t-il de regretter si vivement son kikajon ? Uniquement à cause de la perte d'un peu de bien-être, d'un agrément qui aurait duré quelques heures ou quelques jours. Et quelle était la raison de l'Eternel en épargnant Ninive ? La gloire de son grand Nom que Jonas connaissait très bien. Ainsi donc le prophète aurait voulu que l'Eternel épargnât une plante qui ne lui appartenait pas, une plante qu'il n'avait ni semée ni arrosée et pour laquelle il ne s'était donné aucune peine ; et il ne comprenait pas que le Créateur épargnât des millions d'hommes, ouvrages de ses mains !
            Jonas n'avait qu'une plante et il aurait tout fait pour la conserver ; le Seigneur avait-il donc tort de sauver des milliers de ses créatures ?
            Achevons ce plaidoyer «  pour Dieu ». La cause de Jonas est déjà bien compromise ; encore un argument et elle sera tout à fait ruinée. Ninive renfermait plus de cent vingt mille créatures humaines qui ne savaient pas distinguer entre leur main droite et leur main gauche ; elle contenait donc plus de cent vingt mille jeunes enfants. Ce nombre cesse d'étonner quand on se souvient des dimensions de la ville. Maintenant, Dieu s'enquiert auprès de Jonas s'il faut, pour lui complaire, que cette multitude de petits êtres qui n'ont pris aucune part à l'iniquité de leurs parents, périssent avec eux, emportés par la même ruine.
            Parole précieuse, qui dépeint le coeur de Dieu ! Recueillez-la soigneusement, vous parents chrétiens, et vous en particulier, mères pieuses ! Le Seigneur aime les petits enfants. Il a compassion d'eux. Présentez-lui donc avec confiance ceux qu'Il vous a donnés. L'amour que vous avez pour eux n'est qu'un pâle reflet de celui qu'Il leur porte. « Laissez venir à moi les petits enfants », disait Jésus pendant qu'Il était sur la terre (Matt. 19 : 14). Il le dit encore du haut du ciel. Placez devant Lui ces chers petits êtres ; placez-les par la foi sur le coeur du Bon Berger. Alors, étendant sa main sur eux, Il les bénira.
            S'Il juge à propos de les reprendre avant qu'ils aient appris à distinguer entre leur main droite et leur main gauche, ce sera pour les recueillir dans son bercail. S'Il daigne, au contraire, les laisser à vos soins, développez en eux cette conscience qui leur apprendra de bonne heure à distinguer le bien qu'Il agrée du mal qui lui déplaît. Faites-leur connaître l'Ami des petits enfants et que le Nom de Jésus soit le premier qu'ils bégaient, dès le berceau ; plusieurs d'entre eux le répéteront encore au bord de la tombe. Encouragez enfin leurs prières enfantines, vous souvenant que, par amour pour eux, le Seigneur a épargné plus d'une cité et sauvé même son Eglise de plus d'un péril. Le réformateur Luther savait bien cela. Quand, voyant la cause de Christ, en Allemagne, exposée à des dangers imminents, mais apprenant que partout des enfants demandaient à Dieu de protéger son Evangile, il s'écriait dans la simplicité de son âme : Les enfants prient, la Réformation n'a rien à craindre !
            Le Seigneur ajoute qu'il y avait aussi dans Ninive beaucoup de bétail. Chacune des bêtes avait à ses yeux plus de valeur que cet arbuste, objet de tant de regrets et de plaintes de la part de Jonas. David a dit : « Eternel, tu sauves l'homme et la bête » (Ps 36 : 6). En effet, Dieu prend soin des bêtes qu'Il a créées et Il veut qu'à notre tour nous n'abusions pas de l'autorité qu'Il nous a donnée sur elles (Prov. 12 : 10).
            Mais si Dieu a ainsi pitié de créatures d'un ordre inférieur, que n'éprouve-t-Il pas pour l'homme qu'Il a fait dominer sur elles, pour l'homme auquel Il a surtout donné sa Parole et son Fils ? Et s'Il a pitié de ceux qui ne le servent pas, de quels sentiments son coeur n'est-Il pas animé envers ceux qui l'aiment ? Enfin, sachons de jour en jour entrer davantage dans l'esprit de cette parole du Seigneur Jésus : « Ne vend-on pas deux moineaux pour un sou ? Et pas un seul d'entre eux ne tombe à terre sans la permission de votre Père… Ne craignez donc pas ; vous valez mieux que beaucoup de moineaux (Matt. 10 : 29-31).
            Tel est le plaidoyer de Dieu. Il a regardé Ninive. Il a vu son roi, ses princes, tous ses habitants sous le sac. Il a vu les petits enfants. Il a même abaissé les yeux jusque sur les animaux. Alors Il s'est ému, son bras a laissé de côté le glaive de la vengeance. Jonas, le plus étonnamment béni des prédicateurs, appelle de ses voeux la destruction de Ninive ; mais l'Eternel en sera le Sauveur : Il sera pour la cité qui se repent ce qu'il a été pour Jonas. C'est un Dieu clément, riche en miséricorde et qui se repent du mal dont Il a menacé. Il sait ce qui convient à sa gloire et comment sauver l'honneur dû à sa justice sans compromettre sa bonté. Il sait aussi comment garantir le crédit du prophète sans répondre à sa cruauté. Va donc, fils d'Amittaï ! Va, et bénis cette miséricorde qui fait partie de la gloire du Seigneur. Sa bonté qui a épargné la grande ville t'épargne toi aussi, qui as pourtant outragé Celui qui t'avait comblé de faveurs.
 
            Que va répondre maintenant le prophète ? Il faut nécessairement qu'il cesse de s'affliger soit de la grâce accordée à Ninive, soit du jugement dont le Seigneur a frappé son kikajon. Tel est le dilemme devant lequel Dieu l'a enfermé. Comprendra-t-il la leçon ? La conclusion permet de le supposer. Dans ce livre écrit sous la dictée ou sous la direction du prophète, on ne peut guère expliquer autrement le silence complet qu'il garde enfin, immédiatement après avoir raconté son égarement et rappelé les paroles par lesquelles Dieu a confondu sa folie. Nous aimons donc à nous le représenter ainsi, à l'issue de cette scène : touché, brisé même par le merveilleux support et l'infinie charité de Dieu. Ce coeur altier s'était jusqu'ici endurci sous la discipline ; nous aimons à le voir aux pieds du Seigneur, convaincu, exprimant ses torts par un silence plus éloquent que n'auraient pu le faire les plus énergiques paroles.
            Si Jonas ouvre désormais la bouche, ce sera - nous l'espérons - pour confesser sa faute et rendre hommage à cet amour qui embrasse toutes les nations. Il pourra dire avec David : « Contre toi…j'ai péché… afin que tu sois justifié quand tu parles, trouvé pur quand tu juges » (Ps. 51 : 4) ; avec Job : « J'ai donc parlé, et sans comprendre, de choses trop merveilleuses pour moi, que je ne connaissais pas » (Job 42 : 3) ; ou encore avec Asaph : « Quand mon coeur s'aigrissait, et que je me tourmentais dans mes reins, j'étais alors stupide et je n'avais pas de connaissance ; j'étais avec toi comme une brute » (Ps. 73 : 21-22).
            Que le Seigneur accorde à chaque croyant de pouvoir s'écrier avec le fils d'Amitthaï, animé d'un esprit tout nouveau : Je sais maintenant, ô mon Dieu, que tu es le Dieu clément, miséricordieux, lent à la colère, plein de grâce et qui te repens du mal dont tu as menacé !
 
 
                                          D'après E. Guers – « Jonas, fils d'Amitthaï » 1846
 
    (A suivre)