PENSÉES SUR LE PSAUME 22 (2)
« Nos pères se sont confiés en toi ; ils se sont confiés, et tu les as délivrés.
Ils ont crié vers toi et ils ont été sauvés ; ils se sont confiés en toi et ils n’ont pas été confus.
Mais moi, je suis un ver, et non pas un homme ; la honte des hommes et le méprisé du peuple.
Tous ceux qui me voient se moquent de moi ; ils ouvrent la bouche, ils hochent la tête ?:
“Il se confie à l’Éternel?: qu’il le fasse échapper, qu’il le délivre, car il prend son plaisir en lui !”
Mais c’est toi qui m’as tiré du ventre maternel ; tu m’as donné confiance sur les seins de ma mère.
C’est à toi que je fus remis dès avant ma naissance ; tu es mon Dieu dès le ventre de ma mère.
Ne te tiens pas loin de moi, car la détresse est proche, car il n’y a personne qui secoure » (v. 5-12).
Le culte est le service le plus merveilleux qui soit confié à des hommes. Et pourtant la plupart des chrétiens ne donnent pas la première place à ce service, il s’en faut même de beaucoup. On trouve là encore une victoire de Satan dans ses efforts pour détourner de ce qui est essentiel.
L’essence du culte c’est la perfection de la victime et de son œuvre, présentée devant le regard de Dieu. Il est certain qu’il n’y a pas de culte pour les rachetés sans le rappel du sacrifice pour le péché, comme nous le trouvons dans l’ouverture de la louange dans le premier chapitre de l’Apocalypse (v. 4-6), mais plus nous nous pencherons sur les perfections de la victime elle-même, plus nos « corbeilles » seront remplies pour le culte (voir Deut. 26. 1-11). Et ces perfections brillent d’une incomparable manière dans ce psaume : ce sont les gloires de Jésus dans ses souffrances sur la croix.
Il est relativement peu question de ces souffrances dans la Parole ; il ne nous est pas dit ce qu’elles ont été, mais elles sont sous-entendues lorsque, prophétiquement, le Seigneur parle de ses iniquités (Ps. 40 : 13), de ses fautes et de sa folie (Ps. 69 : 6), ou, dans le psaume qui nous occupe, de l’abandon de Dieu. On les discerne quand la Parole nous parle de cette épée qui se réveille contre le berger de l’Éternel, contre l’homme qui est son compagnon (Zach. 13 : 7), quand le Seigneur mentionne que les eaux lui sont entrées jusque dans l’âme, qu’Il est dans une boue profonde et que le courant le submerge (Ps. 69 : 2-3). Ce sont des choses insondables pour l’esprit humain et que nous ne pourrons comprendre que dans l’éternité. Le verset 3 de notre psaume comme aussi les versets 15 et 16 nous donnent une idée de l’intensité des souffrances de Celui qui a été ainsi abandonné de Dieu et frappé par Lui. « Mon Dieu ! je crie de jour, mais tu ne réponds pas ; et de nuit, et il n’y a pas de repos pour moi » (v. 3). Lui qui dit au Psaume 63 : « Ô Dieu ! tu es mon Dieu ; je te cherche au point du jour...» (v. 2) doit reconnaître ici : « Je crie de jour, mais tu ne réponds pas… ». Il s’adresse à son « Dieu fort », mais n’obtient pas de réponse. Pourtant il est très remarquable de voir que le Seigneur a la face tournée vers Dieu et répand devant Lui sa plainte. Si sa prière n’a pas accès auprès de Dieu, comme il est écrit dans les Lamentations de Jérémie (3 : 8), néanmoins c’est Dieu qui reste toujours l’objet de son cœur et le motif de sa vie. La perfection suprême du Seigneur Jésus a ainsi été manifestée dans ses souffrances mêmes de la croix ; là ce qu’Il est a été démontré d’une manière absolue ; et c’est la perfection de la victime que nous présentons, comme adorateurs, à Dieu son Père.
Non seulement nous contemplons dans ce psaume les perfections de la nature du Seigneur, mais aussi les perfections de ses sentiments et en particulier la confiance qui se manifeste dans ce moment même. Alors que Jésus est cloué sur la croix, Il proclame la sainteté de Dieu : « Et toi tu es saint, toi qui habites au milieu des louanges d’Israël » (v. 4). Il s’associe avec Israël en reconnaissant que l’Éternel est digne de ses louanges en même temps qu’Il mesure ce qu’est la sainteté de Dieu en supportant le poids de toute sa colère contre le péché. Il n’était pas possible pour la sainteté de Dieu que des hommes pécheurs soient réconciliés avec Lui, à moins qu’une victime parfaite ne soit offerte pour eux. Il fallait la perfection de cette victime pure et sans tache pour répondre à la sainteté divine. Le Seigneur Jésus, par sa mort à la croix, a donné à son Père l’occasion de déployer sa gloire pour l’éternité. On a pu dire que, n’y aurait-il eu aucun pécheur sauvé, le Seigneur aurait donné sa vie pour que la gloire morale de Dieu soit éternellement manifestée.
Ensuite (v. 5-6), Christ rappelle la fidélité de Dieu qui a toujours délivré sans exception ceux qui se confiaient en Lui. Le Seigneur lui-même avait invité à se confier en Dieu, et Le voici ici publiquement devant les hommes, devant les anges, devant toute l’histoire, qui est obligé de proclamer que Lui-même est abandonné de Dieu.
Quel sujet d’étonnement pour les anges qui la contemplaient, que cette scène extraordinaire ! En effet, le Seigneur déclare : « Nos pères se sont confiés en toi... et tu les as délivrés » (v. 5). On n’avait jamais vu dans l’histoire de l’humanité tout entière un homme qui s’était confié en Dieu, et que Dieu avait abandonné. En apparence, Dieu se reniait Lui-même. Dans le Psaume 69, le Seigneur intercédant pour les siens demande qu’ils ne soient pas rendus confus à cause de Lui (v. 7). Il prie pour que l’abandon dont Il est l’objet ne soit pas en scandale aux saints, une pierre d’achoppement pour ceux qui cherchent Dieu, et qui, à cause d’un tel spectacle, auraient pu douter de sa fidélité. Toutes proportions gardées, c’est le sentiment qui faisait dire à Paul dans ses tribulations : « Je vous prie de ne perdre courage à cause de mes afflictions pour vous : c’est votre gloire » (Éph. 3 : 13). Ici, dans les versets 5 et 6, Jésus rend témoignage à la fidélité de Dieu qui n’avait jamais manqué à la foi des pères ni de personne. Mais le verset suivant présente comme un contraste : « Mais moi, je suis un ver, et non pas un homme... » (v. 7). Nous pouvons Le considérer là dans son inconcevable abaissement, son humiliation sans pareille.
On voit dans les versets 8 et 9 combien le Seigneur a souffert de la moquerie dont Il a été l’objet quand Il était sur la croix, et principalement de cette parole perfide des principaux du peuple : « Il se confie à l’Éternel : qu’il le fasse échapper, qu’il le délivre, car il prend son plaisir en lui » (v. 9). Le coeur du Seigneur a été infiniment sensible à cette flèche qui était sous la langue des hommes, selon l’expression du Psaume 57 : « Les fils des hommes dont les dents sont des lances et des flèches, et la langue une épée aiguë » (v. 5). Il était accusé, comme autrefois Job par ses amis, de n’avoir pas plu à Dieu : « qu’il le délivre maintenant s’il tient à lui » (Matt. 27 : 43). C’est aussi ce que le résidu confessera plus tard en disant : « Nous l’avons estimé battu, frappé de Dieu… » (És. 53 : 4). Alors que Job, qui précédemment n’avait pas péché de ses lèvres, a bronché devant cette épreuve, Christ est resté ferme, ses propres perfections ont été manifestées.
À ce défi : « qu’il le délivre, car il prend son plaisir en lui », il est précieux d’entendre, comme un écho venant de l’autre côté de la résurrection, la réponse du Seigneur Jésus : « Il me délivra, parce qu’il prenait son plaisir en moi » (Ps. 18 : 19). Le défi s’adresse d’ailleurs à l’Éternel lui-même et on peut penser à ce qu’il a été pour le cœur de Celui qui, au Jourdain, avait ouvert le ciel pour déclarer : « En toi j’ai trouvé mon plaisir » (Marc 1 : 11). D’autre part, remarquons-le, les témoins eux-mêmes constatent ici que, dans ce moment suprême, Christ se confie en l’Éternel.
Il semble qu’au verset 10 le Seigneur en appelle à Dieu. Si les hommes ont pensé et ont dit qu’il n’avait pas plu à l’Éternel, autrement Il l’aurait délivré, Christ exprime sa certitude intérieure que, dès le ventre de sa mère, Il s’est confié en Dieu. On peut encore Le mettre en contraste avec Job qui, au jour de l’épreuve, passant par le « creuset de l’affliction », s’écrie : « Pourquoi ne suis-je pas mort dans le sein de ma mère... ? » (Job 3 : 11).
Un détail qui met cette confiance en relief chez le Seigneur, c’est que dans le moment de son abandon Il ne dit pas « ô Dieu », comme au Psaume 63 par exemple, mais « mon Dieu » (v. 2-3, 11). C’est un détail quant au mot, c’est une vérité infinie quant à ce que ce détail met en évidence.
Le Seigneur réalise en plénitude la fidélité dans la confiance que nous connaissons si peu et qui est pourtant une des grandes vertus de la foi. Pendant combien d’instants au cours d’une année avons-nous confiance en Dieu ? Nous nous appuyons plus volontiers sur les circonstances, sur les hommes ou sur toutes sortes de choses. Jésus aurait pu s’appuyer sur sa puissance divine ; Il aurait pu se protéger, trouver une issue dans bien des occasions ; Il ne l’a jamais fait. Ainsi dans la barque, alors qu’Il dormait, ce n’est que lorsque sa confiance a été entièrement manifestée qu’Il a pu parler comme Dieu en reprenant le vent et la mer (Marc 4 : 39). Toute sa vie dans le secret n’a été que cela. La confiance parfaite, constamment manifestée jusque-là par le Seigneur, Lui permet de parler comme Il le fait dans des circonstances aussi terribles. Or précisément Lui, le seul qui ait fait la preuve qu’on pouvait absolument se confier en Dieu, Celui-là même, après avoir tracé ce chemin publiquement, proclame que le Dieu en qui Il s’est confié L’abandonne, mais Il proclame en même temps qu’Il continue néanmoins à se confier en son Dieu ! Il n’est pas d’aspect plus élevé de la perfection de Christ.
N’y aurait-il eu que la vie du Seigneur ici-bas, cette vie de confiance aurait été déjà quelque chose de merveilleux. Mais la plus belle, la plus glorieuse chose aurait manqué à la gloire de Dieu. Il fallait cette circonstance inouïe de l’abandon pour mettre en évidence la vraie mesure de la perfection de Christ manifestée dans sa confiance. Personne ne pourra dire : Christ s’est confié parce que Dieu était pour Lui, ou encore parce qu’Il ne portait pas de péché et qu’il est plus difficile à un homme chargé du péché de se confier en Dieu. Nous voyons Christ se confier en Dieu quand Dieu était contre Lui comme Il ne sera jamais contre personne. Il demeure parfait, égal à lui-même jusqu’au bout de l’épreuve.
Si nous pouvons jouir des conséquences de cette confiance en Dieu, nous le devons exclusivement, - croyants d’avant et d’après la croix - au fait que Jésus a traversé ces souffrances sans faiblir et sans avoir aucun appui. Qu’est-ce qui envahirait l’âme de tout pécheur, tel que nous sommes, dans une épreuve bien moins intense que celle-là ? C’est le désespoir, le désespoir qui gagne un homme quand il n’a plus d’appui. Or Jésus est sans aucun appui autour de lui, sans aucun appui, ni de la part des anges, ni de la part de Dieu. Et pourtant rien ne manquait quant à sa confiance ; Jésus avait confiance en Dieu quand il n’y avait aucune raison extérieure d’en avoir. Il n’y avait à sa confiance qu’une seule raison, d’ordre intérieur : c’était sa propre perfection.
Il fallait bien que cette épreuve sans pareille ait lieu, sans quoi les problèmes moraux essentiels n’auraient jamais été touchés. Mais maintenant tout est parfaite sécurité ; quelque question morale que l’on envisage, on la trouve réglée à la croix. Satan n’a rien à dire non plus ; il a la bouche fermée ; il l’a eue pendant la vie de Christ ; il l’a à la mort de Christ. Nous voyons là le triomphe absolu de l’homme parfait sur toutes les conséquences du mal.
Combien est grand le travail qu’a rendu nécessaire l’entrée du péché dans le monde ! La méfiance a été semée dans le cœur d’Adam et d’Ève lors de la chute. Il a fallu la confiance de Christ jusque dans l’abandon même pour rétablir la confiance de l’homme vis-à-vis de Dieu, et il a fallu que Dieu soit glorifié d’une façon infiniment supérieure par la confiance qui a été celle de Jésus pendant les trois heures. La gloire de Dieu offensée par la méfiance exigeait cette mesure.
Nous avons facilement tendance à considérer ces faits d’une manière générale et superficielle, mais Dieu désire que nous nous rappelions que toutes ces souffrances étaient réelles. Les vérités morales et spirituelles sont de beaucoup supérieures à toutes les autres réalités. Or il n’y a pas une vérité morale qui ne soit touchée à la croix ; toutes les vérités s’y trouvent vidées, toutes les questions y sont fondamentalement réglées, à la gloire de Dieu, à la gloire de Christ et pour la bénédiction des élus. C’est pourquoi s’occuper de la croix, c’est s’occuper de la chose la plus merveilleuse et la plus sainte qui soit. Il n’est rien de plus excellent que d’étudier la croix.
L’amour, la confiance, l’obéissance, la dépendance sur toute la ligne, tous ces traits variés de la vie divine, c’est cela que Jésus nous fait contempler dans sa vie et avant tout dans sa mort. C’est de cela que l’Église se nourrit.
Tu t’abaissas pour nous jusqu’à la croix infâme,
Où tu subis de Dieu le terrible courroux :
La mort et l’abandon passèrent sur ton âme ;
Du jugement divin tu reçus tous les coups.
(Hymnes et cantiques n° 165)
« Beaucoup de taureaux m’ont environné, des puissants de Basan m’ont entouré ;
Ils ouvrent leur gueule contre moi, comme un lion déchirant et rugissant.
Je suis répandu comme de l’eau, et tous mes os se déjoignent ; mon cœur est comme de la cire, il est fondu au-dedans de mes entrailles.
Ma vigueur est desséchée comme de la terre cuite, et ma langue est attachée à mon palais ; et tu m’as mis dans la poussière de la mort » (v. 13-16).
Ce tableau où nous contemplons Jésus comme l’objet central de la haine de l’homme est d’une grandeur qui nous dépasse. Il est là, sur la croix, ne répondant rien aux moqueries, aux sarcasmes, aux injures de tous, y compris celles des brigands qui sont de chaque côté de Lui (Matt. 27 : 39-44 ; Marc 15 : 29-32 ; Luc 23 : 35-37). Cependant, malgré tout ce que les hommes peuvent Lui infliger, ses pensées ne sont pas distraites de son Père ; Il s’adresse à Lui. Il n’a rien à dire aux hommes, mais Il parle à son Dieu dans une confiance entière.
Du verset 13 au verset 20, le Seigneur exprime devant Dieu ses sentiments dans la situation terrible qui est la sienne : « élevé de la terre » (Jean 3 : 14 ; 12 : 32), au milieu des méchants. Et l’exposé de sa détresse le porte au verset 20 à crier à l’Éternel : « Toi qui es ma force ! hâte-toi de me secourir ».
Il semble que deux catégories de ces méchants sont distinguées dans ces versets. Au verset 13, il est question de « beaucoup de taureaux » et « des puissants de Basan ». Nous comprenons qu’il s’agit de tous ceux qui avaient reçu une autorité, les chefs du peuple, les gouverneurs, qui assistaient à la crucifixion et se raillaient de Jésus avec le peuple (Luc 23 : 35). Au verset 17, l’expression « des chiens... une troupe de méchants » paraît désigner avec les soldats romains, la populace, la foule anonyme. Ils étaient tous d’accord pour accomplir leur forfait.
En même temps qu’ils dépeignent l’attitude de ces deux classes sociales, ces versets nous présentent deux causes différentes de souffrances pour le Seigneur :
- Il y a, en premier lieu, ce que Christ ressentait de la part de ceux qui affirmaient leur force et leur autorité contre lui (v. 13-14) ;
- Les versets suivants nous présentent davantage ce qu’Il souffrait parce qu’on le regardait dans sa honte : « Ils me contemplent, ils me regardent » (v. 18b). Il éprouvait d’une part les souffrances dues à la dureté impitoyable, à la cruauté de ceux qui profitaient de sa faiblesse, de l’autre, ce qui était peut-être plus pénible encore pour Lui, Il sentait profondément celles que Lui infligeaient ces « chiens » (v. 17a), qui représentent toujours des animaux impurs, et qui Le contemplaient sans la moindre retenue morale, ne faisant que se réjouir de sa honte. Devant le Seigneur qui acceptait d’être présenté à leurs regards dans sa souffrance, tout leur débordement moral se donnait libre cours.
Il est bon que nous pesions ces deux sortes de souffrances éprouvées là par le Seigneur de la part des hommes ; et lorsqu’au contact de toute cette violence et de toute cette ignominie Il a cherché de la consolation auprès de Dieu, c’est alors qu’Il a dû dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». L’homme a profité de l’occasion pour montrer toute sa méchanceté contre quelqu’un qui s’offrait, si l’on ose dire en toute révérence, comme une cible parfaite à la violence et à la corruption du cœur humain.
Au reste, si nous trouvons bien deux classes de personnes autour de la croix, en fait elles les renferment toutes : le pauvre et le riche, l’homme cultivé et le rustre, tous les degrés de l’échelle sociale sont là. Mais Dieu n’a pas de temps à perdre avec ces nuances apparentes dont nous faisons tant de cas, et le même homme est tantôt comme un « taureau » ou un « puissant de Basan », tantôt comme un chien qui se réjouit de la honte d’un autre. Cela nous couvre de confusion, à juste raison. Il n’y a pas des millions d’hommes différents devant Dieu ; il y a deux hommes et seulement deux : le « premier homme » et le « second homme » (1 Cor. 15 : 47). Ils sont ici tous deux en face l’un de l’autre. La vraie histoire du monde, nous la lisons dans ces heures de la croix. Nous y avons en traits définitifs ce qu’est le monde, ce qu’est l’homme. Il n’est pas nécessaire de lire tout ce qui a été écrit par les hommes pour savoir ce qu’est le premier homme ; nous n’y trouverions rien de plus que ce que nous avons ici, en présence d’une lumière morale parfaite. La réalité de l’histoire du monde et de l’homme est là dans cette scène inouïe où l’homme parfait est moralement foulé aux pieds, insulté par ces chiens qui le contemplent et se moquent de Lui dans sa honte, publiquement, comme aucun de nous ne voudrait le supporter un seul instant. C’est un tableau permanent que celui-là : le cœur ouvert de Christ et le cœur ouvert de l’homme en face l’un de l’autre. Et nous pouvons y voir aussi la grandeur insondable du cœur de Dieu qui, connaissant tout à l’avance, a donné Celui dont la perfection a été ainsi manifestée, pour le salut d’une humanité dont l’entière méchanceté était, au même moment, absolument et définitivement démontrée. Tout ce qui est là est inexprimable ; l’éternité n’en épuisera pas la méditation.
Il y a ici une incomparable beauté morale en face d’une laideur totale. Dans les comparaisons que fait le Seigneur au sujet de tous ces hommes, on peut s’arrêter devant le style divin qui ne tombe jamais dans le réalisme trivial ou déplacé des hommes et qui dépeint cette scène avec une justesse d’expression alliée à une parfaite délicatesse. L’attitude du Seigneur, caractérisée par une faiblesse totale, une absence complète d’énergie, est en opposition absolue avec celle des taureaux et des puissants de Basan. On voit des hommes mourir en se défendant encore, alors que Christ manifeste une acceptation entière de la souffrance sans la moindre résistance. C’est ce qu’on trouve en particulier au verset 16.
Une autre manifestation de la soumission du Seigneur, c’est qu’Il ne s’arrête pas aux causes secondes. Il voit tout cela, Il en parle, mais en déclarant : «Tu m’as mis dans la poussière de la mort » (v. 16b). N’était-ce pas de la main même du Père qu’Il avait pris à Gethsémané la coupe qu’Il buvait maintenant (Jean 18 : 11) ?
Un autre trait encore devant lequel il faut s’arrêter, c’est que le Seigneur ne lève pas la tête dans toute cette honte et cette douleur. Un homme peut réagir en faisant le fier, en bravant les autres ; c’est une attitude de défense, mais Christ ne fait appel à aucune forme de défense ; Il accepte, confesse et proclame publiquement la situation dans laquelle Il se trouve. C’est la perfection absolue qui brille ici ; mise à la plus terrible épreuve, elle triomphe. Il n’est aidé par rien ni par personne. Tout et tous sont contre Lui : Dieu est contre Lui, toutes les classes d’hommes sont contre Lui, les pouvoirs, Satan et les démons sont aussi contre Lui. Il est crucifié en faiblesse (2 Cor. 13 : 4), apparemment réduit à l’impuissance, et cependant c’est à ce moment-là qu’Il a « dépouillé les pouvoirs et les autorités » et « les a donnés en spectacle, triomphant d’eux en la croix (Col. 2 : 15). Tous les efforts de Satan et de l’homme, dont Satan s’est servi pour pousser le Seigneur à se protéger et à se dérober à la souffrance, tous ces efforts ont été vains, de sorte que l’exemple du Seigneur est évidemment unique. Il n’y a eu aucune douleur comme la sienne, rien n’en approche. D’une part, en effet, toutes les autres douleurs humaines sont des douleurs de pécheurs et de ce fait elles sont souvent en grande partie méritées. D’autre part il n’y a jamais eu aucune acceptation parfaite de la douleur comme celle-ci. Le Seigneur n’est pas admirable parce qu’Il est un héros et qu’Il brave ses ennemis. Il l’est parce qu’Il se soumet absolument. C’est la mise à l’épreuve de sa perfection : il s’agissait de voir si cette perfection serait plus forte que toute la souffrance qui Lui était préparée, et cette souffrance était en rapport avec le règlement de toute la question du bien et du mal. Ce règlement a été absolu et selon Dieu. Le problème n’est plus à poser, Satan le sait bien.
Si la question de la confiance a été vidée, celle de la soumission parfaite l’a été également. Nous savons en effet qu’à ce moment-là l’Ennemi s’est présenté : « Si tu es Fils de Dieu, descends de la croix...» (Matt. 27 : 40b). Le diable s’est servi des hommes pour essayer de tenter Christ : « Sauve-toi toi-même...» (v. 40a). Nous ne pouvons que nous prosterner devant cette soumission parfaite qui montre l’amour que le Seigneur avait pour son Père. Satan, en ce moment décisif, a employé tous ses moyens ; il a coalisé la totalité de ses efforts dans une suprême tentative pour emporter la résistance, la fidélité du Seigneur. Tout ce qui était en jeu alors quant à la puissance du diable est un fait très solennel à propos duquel l’Écriture est particulièrement sobre de détails. Mais quel prix nous devons maintenant attacher à la victoire de Christ ! La puissance de Satan est aujourd’hui brisée, sa défaite est consommée.
Ce qu’est, en lui-même, le mal mystérieux qui a pénétré dans le monde, pourquoi Dieu en a permis l’entrée et, avant celle-ci, que fut la chute de Satan, tout cela n’est pas révélé. Mais nous savons que c’est à propos de l’homme, dans l’homme et par l’homme que devait être accompli le triomphe du bien sur le mal. C’est dans l’homme que Dieu a été manifesté et glorifié. Ce n’est pas dans les anges ; les anges n’ont pas une note à donner dans cette louange qui n’est pas leur cantique. On peut dire que Dieu doit le déploiement de sa gloire à l’homme, c’est-à-dire à Christ, à sa venue dans ce monde et à sa mort sur la croix pour régler, au cours des trois heures sombres, l’effrayante question du péché. C’est à l’homme Christ Jésus que Dieu est redevable de la gloire qu’Il acquiert là dans la rédemption. Ce triomphe du bien sur le mal est une chose infiniment supérieure au maintien de l’innocence. Dieu a trouvé en cela l’occasion de se révéler. Si nous voulons savoir ce qu’est Dieu, nous le trouvons à la croix ; si nous voulons savoir ce que nous sommes, c’est encore à la croix que nous l’apprenons et c’est là qu’il nous faut toujours revenir. L’épître aux Romains nous donne le raisonnement spirituel de la chose, mais ici nous avons le fait, comme nulle part ailleurs. C’est le cœur de l’homme de tous les temps, dans son état naturel, qui est manifesté là, mais il est le même partout. La question a été définitivement réglée par Christ pour Dieu. Elle doit être aussi réglée comme jugement intérieur dans chacun de nos cœurs. Sa réalisation pratique en nous, sans doute, laisse à désirer, mais, au moins, soyons entièrement convaincus que tout ce que nous sommes dans notre état naturel est manifesté et réglé à la croix. Nous avons fait un pas immense quand nous sommes parvenus à cette conviction.
Notre moi a été démasqué à la croix. Il s’est montré sous son vrai visage et a été condamné de sorte que les chrétiens, instruits par Dieu, n’ont plus d’illusions à se faire. Tous les efforts moraux ou matériels pour embellir l’homme sont vains ; ils ne constituent qu’une inutile tentative pour oublier ou pour refuser la force de la vérité dans l’âme. Mais c’est une merveille que Dieu nous ait fait connaître ces vérités définitives ; nous n’avons plus à hésiter sans cesse, à chercher comme le font toutes les philosophies du monde le point final de la vérité. Il est révélé parfaitement ; nous n’avons plus qu’à en tirer les conclusions.
Les possibilités de l’homme ont été manifestées : un éventail complet de tous les crimes, et le crime qui les prime tous, c’est le meurtre de Christ. Il était en germe déjà dans le geste de Caïn. Dieu ne nous flatte pas ; son amour nous instruit de ce que nous avons à savoir pour notre bien sur ce que nous sommes et sur ce qu’Il est Lui-même. Le chemin du bonheur s’ouvre là.
Si les heures de la croix duraient encore, la scène ne serait pas plus présente aux yeux de Dieu. Pour Lui le monde est toujours identique à lui-même, tel qu’il s’est manifesté pendant les six heures de la croix. Mais nous-mêmes l’oublions si facilement ! Quelqu’un a pu dire que si nous étions fidèles nous devrions nous conduire comme si la mort de Christ s’était passée hier. Si nous conservions, en vérité, le sentiment que la scène de la croix vient seulement de se dérouler, combien notre vie entière serait imprégnée de la valeur du sacrifice offert, du prix payé pour notre rachat, comme aussi d’une horreur du mal à la mesure de ce qu’a coûté son abolition !
Toutes ces choses, toutes ces scènes, toutes ces vérités, nous invitent, quand nous sommes autour de sa Table, à rappeler la mort du Seigneur avec bonheur, certes, mais aussi avec quelle gravité, quel recueillement, quelle retenue... et quels silences !
Célébrons du Sauveur l’amour et la puissance,
L’abaissement profond, l’entière obéissance.
Il vint et triompha de tous nos ennemis ;
Il les a, par sa croix, pour toujours asservis.
(Hymnes et cantiques n° 13)
Notes de réunions d’étude de la Parole de Dieu (Paris - 1957)
À suivre