PENSÉES SUR LE PSAUME 22 (1)
Au chef de musique. Sur Ajéleth-Hashakhar. Psaume de David (v. 1)
Ce psaume, bien connu de tout chrétien familier avec l’Écriture, ne mentionne guère, sinon par un aperçu général, les conséquences de l’œuvre de Christ. Celles-ci sont développées plus largement dans d’autres psaumes, et, en ce qui concerne l’Église, dans le Nouveau Testament.
Mais tout ce que nous trouvons dans les psaumes, d’expériences individuelles (au Psaume 32 par exemple) ou de bénédictions pour le peuple ou pour la terre entière, trouve son fondement ici. Ce psaume a en effet ceci de caractéristique qu’il place devant les croyants Christ lui-même dans ses souffrances infinies et infiniment variées, et par-dessus tout dans la souffrance suprême sans laquelle toutes les autres n’auraient eu aucun effet en notre faveur : la souffrance de l’abandon de Dieu. On peut donc bien dire de ce psaume qu’il constitue le centre moral du livre des Psaumes puisqu’il nous montre l’œuvre du Seigneur Jésus qui rend possibles toutes les bénédictions contenues dans le reste du livre et l’accomplissement du dessein de Dieu envers son peuple et envers la terre. Nous sommes ici en présence de ce qui est au cœur même de la pensée de Dieu à l’égard de sa gloire comme aussi à l’égard de notre bénédiction : les souffrances de Christ pendant les trois dernières heures de la croix.
C’est un fait étrange et humiliant que nous soyons portés à négliger si souvent ce sujet majeur pour nous occuper de choses d’un ordre inférieur. Mais il s’agit évidemment du thème le plus difficile à méditer qui soit, parce que c’est celui qui exige l’état d’âme le plus exercé et le plus sérieux. On peut disserter sur les bénédictions chrétiennes ; cela a tout à fait sa place et constitue une précieuse source d’encouragement et de consolation ; il ne faut cependant pas perdre de vue que toutes les bénédictions du croyant ne sont rien d’autre que le fruit de cette souffrance. De plus, il y a, dans le sujet central que nous considérons, une source de lumière sur toutes choses, comme on n’en trouve nulle part ailleurs. Cela nous engage à nous y arrêter avec le secours de l’Esprit de Dieu, assurés que, s’il nous est donné de pouvoir nous pencher avec une sainte crainte sur cet infini, ce sera pour notre bien à tous.
« Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné, te tenant loin de mon salut, loin des paroles de mon rugissement ?
Mon Dieu ! je crie de jour, mais tu ne réponds pas ; et de nuit, et il n’y a pas de repos pour moi. Et toi, tu es saint, toi qui habites au milieu des louanges d’Israël » (v. 2-4)
Immédiatement, sans préambule, nous sommes placés devant le grand fait de l’abandon de Christ, car le verset 2, nous l’entendons de la bouche du Seigneur sur la croix. C’est l’un des plus profonds, des plus merveilleux, des plus insondables versets de l’Écriture. Comme c’est généralement le cas dans ce livre des Psaumes, la pensée fondamentale est exprimée dès le début du psaume.
- La première partie du psaume (v. 2-22) – introduite par ce verset 2 - nous présente le Seigneur Jésus crucifié. Tout ce qui nous est décrit dans ces versets, et les pensées qui s’y expriment, correspondent à ce qui s’est déroulé pendant les six heures de la crucifixion, car si on y trouve les souffrances expiatoires du Seigneur, nous aurons l’occasion d’y considérer bien d’autres souffrances qui les ont précédées.
- La deuxième partie du psaume (v. 22-32) nous présente les résultats de ce que Christ a traversé, en rapport successivement avec :
* le résidu de Juda, assimilé à l’Assemblée pour le temps qui a suivi la résurrection du Seigneur (selon Hébreux 2 : 12) ;
* Israël, ceux qui craignent l’Éternel, les débonnaires ;
* ceux qui seront convertis quand l’évangile du royaume sera prêché ;
* ceux enfin qui naîtront pendant le millénium : « un peuple qui naîtra » (v. 32).
On peut remarquer que dans la plus grande partie du psaume c’est Christ seul qui parle. Dans d’autres psaumes, le précédent par exemple, nous entendons plusieurs interlocuteurs. Ici non, et c’est Jésus lui-même qui s’exprime pendant ces moments terribles. Il en est ainsi dès ce merveilleux verset 2, et nous pouvons demander qu’il ne perde jamais, à être souvent cité, sa force ni sur nos cœurs, ni sur nos consciences : « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné... ? ». L’évangile de Matthieu nous apprend avec précision que c’est « vers la neuvième heure » que Jésus s’est écrié ainsi à forte voix. Le Saint Esprit nous a même conservé cette incomparable parole dans la langue dans laquelle elle a été prononcée, comme pour en souligner l’importance : « Éli, Éli, lama sabachtani ? » (Matt. 27 : 46).
À ce cri, sans hésitation, le cœur du croyant répond : C’est pour moi ! - Et il est précieux de penser que tous ceux qui seront, dans la suite, au bénéfice de cette œuvre - que ce soit le résidu (reste fidèle) de Juda, Israël ou la terre entière - pourront donner une réponse semblable, bien que différente au fond dans son développement, à ce cri : « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné... ? ». Toutefois ce n’est pas d’abord la bénédiction des hommes qui est en question. Bien au-dessus de cela, c’est de la gloire pure et éternelle de Dieu qu’il s’agit. Et c’est ce qui peut nous donner le sentiment de la grandeur de l’outrage que constitue pour Dieu le plus insignifiant des péchés, la plus petite désobéissance, le moindre signe de propre volonté. Un péché, quel qu’il soit, outrage Dieu, et la mesure du sentiment que Dieu en a n’est donnée par rien d’autre que par l’abandon de Jésus.
Quelle lumière cela projette sur l’état et l’histoire du monde tout entier ! Ce n’est pas le mal qui est dans l’un comparé au mal qui est dans l’autre. C’est le mal qui est dans l’homme mis en présence de Dieu lui-même, et la manière dont Dieu le traite. Nous sommes portés à atténuer le mal parce que nous oublions Dieu, mais Christ, justement parce qu’Il ne l’a pas oublié, a dû avoir affaire à Lui dans les conditions que nous avons ici. Il n’est pas mort seulement à cause des péchés qui font horreur, mais aussi à cause de toute la folie, de la légèreté, de la frivolité, des défauts les plus bénins comme les plus fonciers de la nature humaine. Tout est également hideux, et également condamné.
Le Seigneur Jésus a fourni là à Dieu son Père l’occasion unique de donner la mesure de ce qu’Il est vis-à-vis du mal. Le jugement des impies, « l’étang de feu et de soufre » (Apoc. 20 : 14 ; 21 : 8), ne donneront pas cette mesure au même titre ; c’est un jugement mérité, exercé contre des pécheurs, des rebelles, tandis que dans le cas de Christ la mesure est parfaite parce que c’est la colère de Dieu s’exerçant à l’égard de quelqu’un qui, par obéissance, s’offrait parfait pour être « fait péché pour nous » (2 Cor. 5 : 21). Dieu n’était apparemment pas juste en frappant ainsi son Fils ; pourtant c’est en cela même qu’Il donnait la mesure absolue de sa justice. Rien n’est propre à sanctifier l’âme comme la méditation de ces choses.
La joie que le Seigneur entretenait avec son Père était infinie ; or c’est de cette joie qu’Il devait être privé. Dans une infime mesure nous savons ce que c’est que de souffrir quand nous sommes privés de la communion avec le Père ; nous en souffrons en proportion du prix que, chacun, nous attachons à cette communion. Pour Christ cette communion avait un prix infini et son interruption n’a pu être qu’une souffrance infinie.
Ce sont ces trois heures terribles que, dans l’angoisse du combat, le Seigneur anticipait à Gethsémané. Toute l’horreur de l’abandon passait devant son âme. On comprend qu’à la pensée d’être abandonné de Dieu, dont Il avait fait toutes les délices, qu’Il avait glorifié en toutes circonstances dans une entière obéissance, le Seigneur ait été saisi d’effroi, fort angoissé et son âme étreinte d’une tristesse allant jusqu’à la mort (Marc 14 : 34).
Il convient de rappeler que le Seigneur Jésus n’a été chargé judiciairement de nos péchés qu’à partir de la sixième heure. Mais depuis la sixième jusqu’à la neuvième heure, Lui qui était parfait, qu’aucune souillure n’avait jamais atteint, non seulement a porté ce poids de nos péchés, mais a été « fait péché » (2 Cor. 5 : 21) pour que Dieu « condamne le péché dans la chair » (Rom. 8 : 3). Lui qui avait à l’égard du mal une sensibilité infinie, une entière répulsion, était là - nous ne pouvons pas l’oublier - considéré de la même manière que Lui-même considérait le péché, traité comme le mal le mérite non pas aux yeux des hommes, mais aux yeux de Dieu. Et, pour Dieu, le péché, nous le savons, a le double caractère de souillure et de culpabilité. La souillure est un fait abominable pour un Dieu saint, et la culpabilité, de son côté, appelle de la part d’un Dieu juste un jugement sans rémission. Il faut nous placer dans cette lumière, car c’est là et là seulement que l’on peut faire des progrès dans le discernement de ce qu’est le bien et de ce qu’est le mal. Le point définitif dans la mesure du bien et du mal ne se trouve que là, pendant les trois heures. Tout le reste est relatif, là c’est l’absolu.
Alors, comme on a eu l’occasion de l’exprimer quelquefois, on peut se demander quelle était la force qui soutenait le Seigneur s’enfonçant dans cet abîme, par quelle merveille de grâce, de force, Il a pu s’engager dans ces trois heures de ténèbres où Il devait être abandonné. Il ne pouvait pas s’appuyer sur Dieu, Lui qui déclare que sa nourriture était de faire la volonté de son Père (Jean 4 : 34), et dont la joie était d’obéir. À Gethsémané, Il nomme son Père, en disant : « Abba, Père » (Marc 14 : 36) ; sur la croix même, avant comme après les trois heures de l’abandon, Il parle à son Père. Mais pendant les trois heures, plus rien ! La seule puissance pour son cœur, ce qui avait été son appui comme homme durant toute sa vie, cet appui même devait Lui manquer. Il pouvait encore moins compter sur ses disciples ; Il ne pouvait compter sur rien ni sur personne. Tel a été l’abandon de Jésus ! Eh bien, Il avait une chose, une seule chose pour le soutenir et le faire s’engager là : la puissance de son amour, son amour pour Dieu et son amour pour les siens. On trouve ici, mise à découvert, révélée d’une façon définitive et absolue, la puissance de l’amour divin. Tout le reste est d’un ordre inférieur. « À cause de la joie qui était devant lui, [Jésus] a enduré la croix, ayant méprisé la honte » (Héb. 12 : 2). Cette joie n’était autre que l’amour du Père en exercice en Lui puisqu’Il avait devant Lui la joie d’avoir glorifié Dieu dans une mesure infinie. La perfection sur quelque point que ce soit est toujours en rapport avec l’amour que l’on a pour Dieu ; elle en est le fruit. Le Seigneur a prouvé que c’était à juste titre qu’Il disait : « J’aime le Père » (Jean 14 : 31). Rappelons aussi à propos de ce merveilleux amour cette phrase d’un de nos anciens frères : « Il n’y a rien de comparable à la croix si ce n’est le cœur de Celui qui mourut sur elle ».
Il est écrit : « Beaucoup d’eaux ne peuvent éteindre l’amour, et des fleuves ne le submergent pas » (Cant. 8 : 7) ; cela n’est vrai, dans l’absolu, que de l’amour divin de Jésus, amour brûlant que les flots du jugement passant sur Lui n’ont pu éteindre dans son cœur.
C’était une heure unique : les hommes étaient contre le Seigneur, les disciples l’avaient abandonné (Matt. 26 : 56). Toutes les puissances de l’enfer étaient là, et puis, chose plus terrible encore, Dieu lui-même se tournait contre Lui. En face de cela le Seigneur Jésus est absolument seul. Il avait dit à Pierre : « Penses-tu que je ne puisse pas maintenant prier mon Père, et il me fournira plus de douze légions d’anges ? » (Matt. 26 : 53). Mais les anges sont là qui contemplent cette scène et ne peuvent intervenir.
C’est une chose bien propre à retenir l’attention de nos cœurs que de voir le Juste abandonné, Celui qui aurait pu remonter au ciel. Mais Il devait « acheter pour Dieu par son sang, de toute tribu, et langue, et peuple, et nation, et les faire rois et sacrificateurs » (Apoc. 5 : 9-10). Il s’agissait précisément du salut de ceux qui, par leurs péchés, étaient la cause de ces heures terribles. Car nous étions nous aussi présents par nos péchés dans cette scène unique, de sorte que nous ne pouvons la contempler sans manger des « herbes amères » (voir Ex. 12 : 8), dans le sentiment des souffrances que nous avons coûtées au Seigneur.
C’est cela que, le premier jour de la semaine, nous rappelons avant toute autre chose. La louange est liée à cet abandon de Jésus pour la gloire de Dieu, pour que tout ce qu’est Dieu, en amour vis-à-vis des pécheurs et en sainteté vis-à-vis du péché, ait l’occasion d’être manifesté. Le culte, la Cène devraient en conséquence être célébrés avec la vérité du cœur et une profonde simplicité, à l’opposé du formalisme et de la légèreté. Il ne suffit pas de verser les larmes de la sentimentalité humaine, comme le faisaient les filles de Jérusalem qui suivaient le Seigneur portant sa croix (Luc 23 : 27). Il faut le recueillement, la crainte, que le Saint Esprit et la Parole peuvent seuls produire et entretenir dans le cœur des saints, avec l’humiliation résultant du souvenir de notre péché qui a nécessité ces heures. Rien ne nous rendra aussi graves et sérieux que la contemplation de cet abandon de Jésus qui n’eut aucune atténuation à sa souffrance quand Il a bu la coupe amère.
Toi qui, pour nous plein d’amour,
Bus la coupe des souffrances,
Et nous donnas en retour
Une entière délivrance,
Ô Jésus ! sois exalté
Dans toute l’éternité !
(Hymnes et cantiques n° 8)
Il n’existe aucun mot dans le vocabulaire humain pour exprimer l’amour extraordinaire de Christ, cet amour qui a mis le Dieu tout-puissant, Créateur de toutes choses, en présence des hommes qui l’insultaient sans qu’il leur réponde un seul mot. Il aurait pu exterminer ses ennemis ou tout abandonner, mais Il n’en a rien fait. L’œuvre du Père devait être accomplie et Christ l’a accomplie avec une incomparable perfection que mettent en évidence les conditions exceptionnelles dans lesquelles Il est placé. Il était normal que Jésus, éprouvant toute la méchanceté de l’homme déployée contre Lui, cherche du secours en Celui qui était continuellement sa force : or Il a dû, à ce moment même, constater et proclamer que son Dieu L’avait abandonné. Son Dieu L’a abandonné dans les pires conditions qui soient, mais Lui n’a pas abandonné pour autant sa confiance en son Dieu. Et cependant cette confiance, entretenue dans le cœur de Jésus par une invariable fidélité, par l’obéissance, par l’amour pour le Père et pour nous, n’était pas nourrie dans ces moments par le réconfort d’une réponse de Dieu à son égard. Il fallait que l’épreuve aille jusque-là : l’amour de Dieu n’a pas reculé devant une épreuve totale, l’amour de Christ n’a pas reculé ; il s’est montré supérieur à l’épreuve en trouvant en lui-même sa seule force pour traverser l’abandon et la colère dans les conditions exposées dans ce psaume. Tenons-nous ici avec les « pieds déchaussés » (voir Ex. 3 : 5) ; c’est le terrain le plus sacré qui soit dans l’univers de Dieu.
Dans le chapitre 53 d’Ésaïe, nous trouvons cette expression : « Il plut à l’Éternel de le meurtrir ; il l’a soumis à la souffrance » (v. 10). Il suffisait que cela plaise à Dieu pour que le Fils, obéissant par excellence, toujours occupé de ce qui plaisait à son Père (Jean 8 : 29), se soumette à cette souffrance qui était dans le propos de Dieu à son égard. C’était la pleine acceptation de cette volonté de son Père que Jésus réalisait quand il est dit dans le même verset d’Ésaïe 53 : « Il livre son âme en sacrifice pour le péché ».
Dans ses méditations sur ce chapitre d’Ésaïe, F. B. Hole a écrit : « Le saint Serviteur devait endurer les meurtrissures et le chagrin, et même son âme devait être offerte en sacrifice pour le péché, et tout cela entre les mains de Jéhovah. Ce que tout cela implique réellement doit toujours rester hors de portée de notre esprit de créature, même s'il a été renouvelé par la grâce. Et qu’il ait « plu » à l’Éternel de faire cela peut nous sembler une déclaration étonnante. Pourtant l'explication réside dans la dernière partie du verset : les résultats qui devaient être obtenus devaient être d'une valeur et d'une merveille extraordinaires. Une pensée parallèle concernant le Seigneur Jésus lui-même semble résider dans les mots : « Jésus… lui qui, à cause de la joie qui était devant lui, a enduré la croix » (Héb. 12 : 2).
Ce qu’il y a d’admirable et d’unique dans cette position du Seigneur c’est cette absence totale de recherche d’une ressource quelconque. Nous avons de la peine à saisir cela parce que, quand nous sommes nous-mêmes dans l’épreuve, nous cherchons des ressources en des consolateurs, ou bien encore notre volonté propre se tend. Mais le Seigneur n’avait pas de volonté propre ; rien ne Le protégeait. Si l’on ose dire, toutes ses souffrances, aussi bien morales que physiques, étaient à nu, et à nu pour recevoir des coups, des coups de la part des hommes et des coups de la part de Dieu. Non seulement le Seigneur ne répond pas à ces méchants, à ces violents, par un acte de puissance et n’éprouve à leur égard aucun sentiment de vengeance - au contraire, Il intercède pour eux (Luc 23 : 34) - mais il n’a pas même un sentiment de défense personnelle. Voilà qui est absolument unique en perfection.
C’est parce que la gloire du Seigneur pendant ces trois heures a brillé d’une manière aussi merveilleuse que l’un des grands efforts de l’Ennemi consiste à estomper dans la chrétienté et même parmi les vrais enfants de Dieu la clarté glorieuse de la croix. Et si, en ce qui nous concerne, nous maintenons le fait que sans la croix nous n’avons pas de salut (vérité qui n’est pas conservée partout), quelle perte nous faisons quand nous ne savons pas nous arrêter ensemble au pied de la croix ! Quelle perte fait l’Église en ne sachant pas y demeurer pour contempler cette scène qu’elle contemplera éternellement ! Quelle perte aussi pour le chrétien individuellement lorsqu’il quitte des yeux la croix du Seigneur ! Le contempler est le ressort caché de toute l’activité chrétienne.
Il est bien certain que cette place de la croix dans le cœur des croyants du début du témoignage a été au premier plan. Nos anciens frères ont été conduits à approfondir ce sujet non par une étude théologique mais par un examen pieux de la Parole avec le secours du Saint Esprit. Ils ont considéré la croix, Christ sur la croix, et non seulement y portant nos péchés, mais y révélant ses insondables perfections personnelles. Ils ont aussi considéré Christ dans la gloire, car la croix et la gloire se touchent.
C’est vraiment là la bonne part choisie par Marie (Luc 10 : 39) et qui devrait être la nôtre. On ne perd pas son temps à prendre cette place ; l’âme s’enrichit, se nourrit et entre dans les joies et les pensées de Dieu. Il y a profit, édification, et non seulement cela, mais cette occupation de la croix nous conduira à une adoration intelligente. Il est essentiel d’être bien fixé sur ce qui s’est passé à Golgotha, et nos devanciers, au prix de controverses éprouvantes, au cours desquelles on a été jusqu’à les accuser de blasphème, ont maintenu avec la dernière énergie la vérité fondamentale de l’expiation accomplie pendant ce que la Parole appelle les trois heures de « ténèbres », et là exclusivement. À la fin de l’histoire du témoignage gardons-nous de nous laisser ravir ce « dépôt » (voir 2 Tim. 1 : 14) de vérité qui appartient à la gloire de Jésus. L’ignorance à cet égard est une porte ouverte à l’ennemi dont nous n’ignorons pas les desseins (2 Cor. 2 : 11).
Il est donc de toute importance de retenir que si le Seigneur est resté sur la croix de la troisième à la neuvième heure, avant la sixième et après la neuvième Il jouissait de la communion avec son Père, tandis que de la sixième à la neuvième heure cette portion, qui était la joie éternelle de son âme, lui a été refusée. Plus encore, Dieu était contre Lui. C’est ce qui rend absolument insondable ce qui s’est passé pendant ces trois heures, et qui les rend entièrement distinctes des trois heures qui les ont précédées. Les souffrances que Jésus endurait de la part des hommes, et dont nous avons le tableau moral dans les versets qui suivent, passent au second plan par rapport à celles qu’Il a dû alors endurer sous le coup terrible de l’abandon de Dieu. Si nous ne retenons pas cela, nous perdons le sens de ce que sont les trois heures de ténèbres, et alors tous les sentiments qui conviennent au croyant dans la contemplation de cette scène s’en trouvent affaiblis : la crainte, la gravité, l’humiliation et l’adoration. C’est en effet une scène inépuisable à laquelle il faudrait constamment revenir, et en particulier le dimanche matin. Nous y voyons Jésus non plus comme un modèle, - ce qu’il est avant la sixième heure et après la neuvième, - mais comme un Sauveur et le seul Sauveur.
On comprend que la croix du Seigneur, telle que l’Écriture nous la présente et telle que le Saint Esprit seul peut nous donner de la considérer, soit la gloire et la bannière de l’Église. Nous avons là le règlement définitif, par Dieu, de la question du bien et du mal. Tout le sang versé depuis les jours d’Abel, toute la corruption, toutes les choses honteuses comme toutes les violences, ne sont que des effets. Ici c’est la source même du mal qui est atteinte. Rien comme cette considération de la croix n’est propre à nous sanctifier, à détruire en nous la légèreté, la frivolité, la tendance à faire comme le monde fait, à plaisanter à propos du mal en perdant de vue ce qu’est la perfidie de la chair. Rien ne peut nous aider en cela comme la croix, et c’est aussi dans la mesure où nous y pensons que nous sommes capables d’adorer. Que peut être notre adoration si nous n’entrons pas dans ce dont la croix nous parle ? Ce n’est pas de nous d’abord qu’il devrait s’agir dans notre culte, mais de notre Seigneur Jésus Christ, de sa souffrance et de sa délivrance après la neuvième heure.
On apprend aussi à se connaître soi-même à la croix, par contraste avec Christ, en trouvant en Lui un homme qui agit, qui parle, qui garde le silence à la gloire de Dieu, et dont toute la façon d’être est ainsi opposée à la nôtre. Rien ne nous abaisse autant, et c’est une excellente chose. De telles pensées mettent fin à toutes nos prétentions et aux efforts que nous faisons pour couvrir notre chair volontaire et corrompue d’apparences par lesquelles nous nous séduisons nous-mêmes en faisant illusion aux autres. C’est en nous tenant devant la lumière de la croix, de cette croix bénie qui ouvre le passage au fleuve de la grâce de Dieu que nous serons heureux. Mais combien souvent nos paroles vont au-delà de ce qui se passe dans nos cœurs, au culte en particulier !
La méditation de ces choses, les plus élevées parmi tout ce que la révélation de Christ nous apporte, est absolument liée à l’existence du témoignage pour le Seigneur. Il n’y a pas de témoignage vrai sans ce point central qui est à la source de toute l’œuvre de Dieu vis-à-vis de l’homme. C’est pourquoi la Table du Seigneur, où se célèbre le souvenir de la mort de Christ, constitue le centre du témoignage. Si nos activités, nos services, la prédication de l’évangile, le souci des âmes voilent dans nos cœurs la beauté morale de la croix, c’est une perte que rien ne peut compenser.
Quel serait notre bonheur si l’Église était dépouillée de tous ses ornements humains ! Quelle joie nous goûterions si nous avions un désir plus grand de nous identifier avec Christ tel qu’Il est ! Et quelle joie ce serait pour son cœur à Lui. Nous sommes unis à Jésus dans les effets de sa mort, mais il nous faut réaliser aussi que nous sommes unis à Lui dans sa mort même. La place de honte et de rejet qu’Il a eue de la part des hommes, c’est la nôtre ; désirons en goûter le privilège. Mais il nous faut avant tout réaliser que le jugement de Dieu qui a passé sur Christ est le nôtre, celui qui était dû à notre nature pécheresse et à ses fruits. Combien, si nous le réalisions pleinement, le culte, la Cène, toutes les réunions auraient plus de simplicité, plus de profondeur, plus de spiritualité ! Mais le Saint Esprit ne peut pas nous donner la contemplation de cette merveille de la croix sans que nous soyons effectivement délivrés de la volonté propre intérieure non jugée, à base d’égoïsme et d’orgueil, qui trouve précisément à la croix sa condamnation sans appel. Il ne peut davantage nous en faire jouir lorsque nos cœurs sont embarrassés de toutes sortes de choses et remplis de la poussière et de la boue du monde. Qu’Il nous en débarrasse pour que Jésus prenne la première place dans tous les cœurs qui sont à lui. Il en est digne. Car si ses souffrances physiques ont marqué ses mains et ses pieds, les souffrances de son abandon ont marqué dans son cœur. Elles restent là, exprimant la place éternelle que nous occupons dans ce cœur divin du Sauveur, « ce cœur qui souffrit pour nous ».
Tu souffris, ô Jésus, Sauveur, Agneau, Victime !
Ton regard infini sonda l’immense abîme,
Et ton cœur infini, sous ce poids d’un moment,
Porta l’éternité de notre châtiment.
(Hymnes et cantiques n° 46)
Notes de réunions d’étude de la Parole de Dieu (Paris - 1957)
À suivre