Ayez bon courage
Il est une expression dans le Nouveau Testament dont le Seigneur Jésus semble se réserver l'usage. A une exception près, l'impératif traduit par « bon courage » ou « ayez bon courage » n'est utilisé que par Lui. Et nous en comprenons la raison. Seul Jésus a, pour prononcer ces mots, l'autorité de Dieu.
Quel autre que Lui, quel homme assujetti à la crainte de la mort, aurait qualité pour ranimer le courage de ses semblables, et en vertu de quoi le ferait-il ? Il faut pouvoir donner à autrui un motif de reprendre courage, sinon l'exhortation est cruelle et vide de sens ; et ce motif, Dieu seul peut le fournir. Mais, pour parler ainsi, Jésus a aussi la compréhension de la nature humaine que lui donne son expérience d'homme ici-bas. Il connaît la fragilité de l'équilibre moral de sa créature, l'emprise des circonstances sur l'esprit et sur les sentiments des hommes. Parce qu'Il est homme, Il peut comprendre un cœur timide ou découragé, et parce qu'Il est Dieu, Il peut apporter à ce cœur la réponse d'en haut : « Bon courage ».
De plus, n'est-il pas touchant que le Seigneur se fasse pour ainsi dire reconnaître à ses expressions familières ? Plus quelqu'un nous est cher, plus nous prêtons attention aux tournures qui lui sont propres, au timbre même de sa voix et nous savons les distinguer. La voix du berger pour ses brebis, celle du maître pour ses disciples, celle de l'ami pour ses intimes, celle de l'époux pour son épouse ont chacune des intonations inimitables, des expressions maintes fois entendues et auxquelles le cœur ne peut se tromper. « Ayez bon courage » est l'une de celles-là.
Quatre personnes se sont chargées de cet infirme avec la hardiesse de la foi. Lui est incapable de s'approcher, ses quatre porteurs sont incapables de le guérir ; un seul peut prononcer la parole nécessaire à la conscience de cet homme, réponse au mal secret qui le ronge : « Tes péchés sont pardonnés » (Matt. 9 : 2). Inattendue et suscitant aussitôt la réaction de l'incrédulité, cette parole est sûrement bienvenue pour le pauvre malade ; nous ne la voyons provoquer chez lui aucune déception ; il se sait pécheur avant d'être paralytique.
Pardonné, cet homme aurait pu partir heureux si l'amour du Seigneur, en même temps que la nécessité d'un témoignage public, n'avaient réclamé aussi pour lui la guérison du corps. « C'est lui qui pardonne toutes tes iniquités, qui guérit toutes tes infirmités », annonçait le Psaume 103 : 3, attribuant à l'Eternel, et dans le même ordre, les deux phases de la guérison et répondant ainsi à la question posée par les assistants : « Qui est celui-ci… ? » (Luc 5 : 21). La puissance du Seigneur (donc le Seigneur lui-même) était là pour les guérir (v. 17b). Elle était prête à les guérir tous si chacun d’eux se reconnaissait pécheur. Ainsi, avant d'aller plus loin, admirons le divin Médecin qui ne se contente pas de soigner les effets du mal, mais s'attaque à sa racine. Son diagnostic est sûr : la maladie chez l'homme n'est que la conséquence du péché, c'est donc bien de celui-ci qu'il convient de s'occuper en premier lieu. En cela encore, n'y a-t-il pas là une leçon pour nous ? Il nous arrive si souvent de faire passer nos circonstances extérieures ou celles de nos proches avant l'état intérieur qui en est peut-être la cause, de mettre en ordre plus volontiers nos affaires que notre conscience, de nous inquiéter davantage d'une maladie que d'un péché, chez nos enfants par exemple.
Mais si habile que soit un médecin, c'est aussi par ses qualités de cœur qu'il se fait apprécier. Ses malades ne sont pas simplement des « cas », ce sont des êtres humains qui souffrent. Et l'être qui souffre est sensible à la sympathie ; elle ne contribue pas pour une petite part au soulagement qu'il éprouve après la visite de son docteur. Eh bien, chaque miracle de Jésus était empreint de cette profonde compassion pour celui dont Il s'occupait ! Quelques versets plus haut, Il s'est fait reconnaître comme le serviteur désigné par Esaïe : « Lui-même a pris nos infirmités et a porté nos maladies » (Matt. 8 : 17). Aussi la parole souveraine qui délivre l'âme de son fardeau de culpabilité s'accompagne-t-elle d'un mot propre à rassurer la conscience : « Bon courage, mon enfant… ». Et nous qui sommes parmi les « porteurs de paralytiques » - parents, amis, peut-être découragés, fatigués de prier -, l'exhortation est aussi pour nous. Oui, ayons bon courage, enhardissons-nous, « perçons les toits », usons nos genoux, mettons-nous à deux, à quatre, ou à toute une assemblée en prière pour apporter nos « infirmes » au Seigneur, dans le sentiment du premier de leurs besoins : le pardon de leurs péchés.
Ajoutons que si le Seigneur veut nous débarrasser de notre timidité, c'est aussi dans notre propre intérêt. Nous savons à quel reniement Pierre, et hélas d'autres après lui, ont été conduits par manque de courage pour confesser Christ devant les hommes. Inversement, l'expérience nous apprend quel souffle, quelle nouvelle vigueur prend notre foi en chaque occasion où il nous a été « permis » de rendre un petit témoignage. Toute notre vie chrétienne en bénéficie puisque, en annonçant qui nous sommes, nous nous obligeons ensuite à être conséquents avec ce que nous avons professé.
La journée du Seigneur avait été bien remplie. Guérissant les infirmes, instruisant et nourrissant les foules, Il avait associé ses disciples à son travail d'amour. Le soir était arrivé, mais pas encore le moment du repos dont Jésus leur avait parlé (Marc 6 : 31) et dont ils pensaient peut-être l’avoir bien mérité. Au lieu de cela, le Seigneur les contraint d'entreprendre à cette heure tardive la traversée du lac. Et voilà ces disciples, seuls dans la nuit, avec « un grand vent qui soufflait » (Jean 6 : 18). Ils se tourmentent à ramer dans une lutte inégale contre les éléments furieux. Mais pas un instant Jésus ne les a perdus de vue. Il a déterminé exactement la durée de leur épreuve : elle prendra fin à « la quatrième veille de la nuit » (Marc 6 : 48), à une distance de « vingt-cinq ou trente stades » du rivage (Jean 6 : 19). Alors seulement Il vient à eux, mais avec un cœur qui, contrairement aux apparences, n'a pas cessé un seul moment d'être sensible à la fatigue, au découragement et à la frayeur des siens. Combien Il a hâte de les rassurer ! De loin Il leur crie : « Ayez bon courage ; c'est moi » - oui moi, Jésus, que vous connaissez bien. Vous n'en êtes plus à vous demander : « Qui donc est celui-ci ? ». Je suis Celui qui sait calmer les orages et marcher sur les flots ; ma seule présence vous assure une parfaite sécurité : la paix autour de vous et la paix dans vos cœurs (Matt. 14 : 22-27).
Cette scène de l'Evangile, nous n'en sommes pas seulement les admirateurs, mais aussi les acteurs, embarqués sur un frêle esquif. Elle illustre notre position actuelle de chrétiens dans un monde hostile et agité qu'en l'absence du Seigneur Jésus nous traversons péniblement. Le vent des épreuves menace à tout instant de nous faire chavirer. Un peu de relâchement peut signifier le naufrage de notre vie spirituelle. Nous sommes près quelquefois de perdre courage. Alors, au moment le plus sombre, le Seigneur se manifeste ; et la tempête, au lieu d'être un obstacle pour jouir de sa présence, devient un lieu de rendez-vous de Jésus avec les siens. La promesse d'Esaïe 43 : 2 a son accomplissement pour chacun de ses rachetés : « Ne crains pas… quand tu passeras par les eaux, je serai avec toi… ».
Chers frères et sœurs, ne vaut-il pas la peine quelquefois de traverser ces « eaux » qui nous assurent une telle compagnie ? Encore faut-il reconnaître le Seigneur dans les circonstances qu'Il permet pour nous, Lui en attribuer la sage initiative. Et pourquoi les permet-Il ? Précisément pour pouvoir être avec nous, sachant bien que ce n'est souvent qu'en présence du danger que nous sommes disposés à saisir Sa main. Qu'Il nous donne une oreille sensible pour discerner, au-dessus du vacarme des flots, la voix douce et subtile si propre à rassurer nos cœurs : « Ayez bon courage ; c'est moi ; n'ayez pas peur » !
Le Seigneur fait appeler le mendiant. Il daigne se servir des siens pour un message de grâce, et ceux-ci vont vers l'aveugle avec ces mots montrant qu'ils savent quel Maître ils ont : « Bon courage, lève-toi, il t'appelle ». Jetant loin le vêtement qui pourrait le retarder, Bartimée se lève et vient en hâte à Jésus trouver la guérison. Puis il Le suit dans le chemin.
Ainsi parmi la foule de ceux qui suivent apparemment le Seigneur dans le chemin, en se réclamant de Lui, il en est qui découragent et d'autres qui encouragent les pécheurs à répondre à l'appel du Sauveur. Puissions-nous faire partie des seconds, de ceux qui, parce qu'ils suivent vraiment Christ, ont le privilège de répéter de cœur ses propres paroles, tirées de l'Ecriture, pour inviter de sa part les inconvertis à se lever et à aller à Lui. Les besoins des hommes sont là ; en ouvrant les yeux nous ne pouvons pas ne pas les voir. Mais nous connaissons la seule vraie réponse qui peut leur être donnée et par conséquent nous avons le droit d'employer à notre tour la parole divine propre à encourager le pécheur repentant en dirigeant ses regards vers le Seigneur. Hélas, il existe beaucoup de soi-disant chrétiens à qui les besoins d'autrui donnent une sorte de mauvaise conscience ; aveugles eux-mêmes, la guérison d'un autre soulignerait leur propre état. Combien de responsables dans la chrétienté s'appliquent à faire taire les besoins des hommes, trouvant malséant qu'une âme ose s'adresser directement au Seigneur ! Mais ces besoins, Jésus les entend et les comprend. Il leur a préparé une réponse. Oui, qu'Il veuille nous employer pour proclamer celle-ci d'après la Parole et annoncer aux hommes : Ayez bon courage, levez-vous, Jésus vous invite.
Le monde dans lequel le Seigneur laissait les siens était un monde vaincu, et vaincu par Lui-même. Après son départ, ils n'y demeuraient pas comme des captifs asservis à un tyran plus fort qu'eux, mais un peu comme les représentants d'une armée d'occupation pour le compte du Roi qui les y laissait expressément afin d'y être ses porte-parole. Ce monde, Jésus le connaissait bien pour l'avoir traversé lui-même et avoir fait, plus que quiconque, l'expérience de son entière inimitié. C'est dans ce monde-là que je vous laisse, dit le Seigneur aux siens. Je ne vous ai jamais caché son vrai caractère (chap. 15 : 18-19). Vous ne pouvez y rencontrer que la tribulation. Mais la victoire est acquise, acquise à votre profit ; vous n'avez plus à le vaincre vous-mêmes, d'ailleurs vous ne le pourriez pas, mais vous y demeurez désormais comme des vainqueurs par la foi en ma victoire (1 Jean 5 : 4-5). La foi ne peut pas ne pas souffrir dans un monde plus insolent et orgueilleux qu'il n'a jamais été. Mais en souffrant, précisément, elle triomphe, car elle possède un merveilleux secret : elle seule sait déjà que le monde est vaincu, et elle se sert comme d'une arme invincible de cette dernière parole de Jésus : « Ayez bon courage, moi j'ai vaincu le monde ».
En dépit des avertissements reçus de ville en ville, l'apôtre, pressé par ses affections pour sa nation, est monté à Jérusalem prêt à y faire le sacrifice de sa vie, et en effet il a bien failli la perdre (23 : 27). Mais le temps de la patience de Dieu envers Jérusalem est passé. Pas une seule âme ne paraît avoir été amenée au salut par le touchant discours du chapitre 22 ; il n'avait fait au contraire que déchaîner une rage meurtrière: Et la comparution devant le sanhédrin n'a rien produit qu'une dispute générale et une grande clameur. Une parole habile (que Paul paraît avoir regrettée ensuite (24 : 20-21) a servi de pomme de discorde pour exciter l'une contre l'autre les deux factions du sanhédrin. Pour tout résultat, après avoir encore failli être « mis en pièces » (23 : 10), Paul se retrouve dans la forteresse, avec la perspective d'être livré aux nations, en accomplissement de la prophétie d'Agabus, (21 : 10-11). On se le représente dans cette sombre prison, accablé par le sentiment d'un échec dont il se sent responsable et dont les conséquences vont être apparemment désastreuses pour l'œuvre du Seigneur.
La réponse à cet abattement - une consolation émanant du « Dieu de toute consolation » (2 Cor. 1 : 3) - ne se fait pas attendre. Elle parvient à Paul « la nuit suivante ». Le Seigneur n'envoie pas un ange, comme Il le fera au chapitre 27 : 23, mais vient l'apporter « Lui-même ». Il ne se tient pas à distance, mais « près de lui », la présence de Jésus faisant de cette prison le ciel sur la terre. Il ne formule aucun reproche ; au contraire, Il reconnaît pleinement le témoignage que Paul vient de Lui rendre à Jérusalem. Et, loin de le disqualifier pour l'avenir, Il exauce enfin l'ardent désir de son cher serviteur en lui annonçant qu'il rendra témoignage aussi à Rome. Quelle parfaite connaissance des besoins du cœur, quel tact, quelle douceur dans la concision de ce seul verset 11 ! Mais ce n'est pas tout. Le Seigneur accompagne ces quelques mots de la parole la plus propre à réconforter son cher apôtre : « Aie bon courage ». Oui, quelle tendresse, n'est-ce pas, quelle « langue des savants » pour « soutenir par une parole celui qui est las » (Es. 50 : 4) ?
Quand nous serons avec Lui, nous n'aurons plus besoin de courage, ni par conséquent d'encouragement. Nous n'aurons plus à aller sans cesse à contre-courant dans un monde à la fois séducteur et hostile. La marche de la foi aura atteint son but glorieux ; les fatigues du combat seront oubliées ; le service aura pris fin en même temps que les occasions de servir fournies par les besoins des hommes. Notre « barque », enfin et pour toujours, aura abordé à la rive céleste.
J. Koechlin - « Messager évangélique » (1970)