L'heure de la décision
La première entrevue entre David et Jonathan (1 Samuel 18 : 1-5)
L'attachement de Jonathan à David dont il assure la protection (1 Sam. 19 : 1-7 ; 20 : 1-34)
La séparation entre David et Jonathan (1 Sam. 20 : 35-43)
La dernière entrevue des deux amis (1 Samuel 23 : 14-18)
Le récit de l'amitié qui unissait David et Jonathan est l'un des plus émouvants de la Parole de Dieu. C'est une amitié pure, noble et exempte de tout égoïsme. Et pourtant, sans qu'il y ait eu entre ces deux hommes la moindre dispute, leurs relations se sont détériorées graduellement et leurs chemins sont devenus divergents. Il en est ainsi fréquemment parmi les hommes, mais les biographes embellissent souvent leurs récits et n'en font pas mention. Mais ici il s'agit d'un récit inspiré et ce n'est pas une belle page de littérature. Dieu veut nous enseigner des leçons profitables.
L'amour de Jonathan pour David est l'image de l'attachement du croyant à Christ. Cet attachement peut parfois, hélas, décliner et diminuer dangereusement, au point que le croyant s'éloigne complètement de lui. Sans doute, il est préférable de nous occuper de l'amour de Christ envers nous, mais notre amour pour le Sauveur est aussi un point d'une extrême importance. Il est vrai, comme quelqu'un l'a dit, que notre amour pour lui, en regard de son amour pour nous, ne ressemble même pas à la lueur d'une bougie devant l'éclat du soleil ; d'ailleurs même cette faible lumière, c'est Christ qui l'a allumée ; sans pourtant l'éteindre, la splendeur de son amour éclipse entièrement le nôtre !
Christ attache un grand prix à nos affections, et il est sensible à tout déclin de celles-ci ! Voilà pourquoi l'histoire de Jonathan est si remplie d'instruction pour nous. Cherchons la raison profonde qui a pu déterminer Jonathan à abandonner David, après l'avoir au début tant aimé et tant admiré !
La première partie de l'histoire de Jonathan constitue un exemple exaltant ; la suite, à partir du chapitre 20, est profondément affligeante.
Examinons d'un peu plus près les récits que nous trouvons dans les chapitres 18 à 23 du premier livre de Samuel.
Le jeune David vient de remporter une victoire éclair sur le géant Goliath. Après quarante jours de détresse, d'humiliation et de tension, pendant lesquels ce Philistin de plus de trois mètres s'est présenté sur la ligne de bataille matin et soir pour outrager Israël (1 Sam. 17 : 16), c'est une explosion de joie, des cris de victoire, la défaite des Philistins (v. 52).
Mais au moment où le glorieux vainqueur paraît devant Saül et Jonathan, nous assistons à une scène plus intime encore. Le fils du roi contemple avec admiration ce jeune berger qui porte les trophées de sa victoire, la tête et les armes de Goliath. Il est attiré par la personne et la beauté morale de David plus encore que par son triomphe. « L'âme de Jonathan se lia à l'âme de David ; et Jonathan l'aima comme son âme » (1 Sam. 18 : 1). La jalousie joue un rôle immense dans toutes les affaires humaines ; et plus les hommes sont près de la source du pouvoir, plus l'influence et les ravages de la jalousie se font sentir. Mais ici le fils du roi, qui avait peu auparavant remporté par la foi une grande victoire dans la lutte contre les Philistins (1 Sam. 14), n'éprouve aucun sentiment d'envie ou d'amertume en se voyant brusquement dépassé dans la faveur du peuple ; au contraire, il réalise son néant et se dépouille de ce qu'il possède pour l'offrir en hommage au vainqueur : sa robe, ses vêtements, son épée, son arc et sa ceinture.
Spectacle étrange ! Le simple berger, déjà oint secrètement par Samuel comme roi (1 Sam. 16 : 13) est revêtu ici de tous les insignes royaux ! Jonathan n'est-il pas une belle figure du croyant qui, réalisant la grandeur de la victoire du Seigneur sur la puissance de Satan à la croix, s'attache à la personne de son Sauveur ? Des liens intimes, une affection et une communion profondes naissent de la contemplation de ses gloires variées, de ses perfections infinies.
Comme on voudrait voir beaucoup de chrétiens s'attacher au Seigneur de tout leur coeur (Act. 11 : 23), dès leur conversion, avec le même enthousiasme, la même ardeur, qu'un Jonathan dont l'âme se lie à celle de David. Qui oserait mettre en doute la sincérité et la profondeur de cette affection réciproque? Elle a été un baume pour David au milieu de ses afflictions, et quand il a appris la mort de Jonathan sur la montagne de Guilboa, il a prononcé une complainte aux accents déchirants. Un poète a dit : « Les chants désespérés sont les plus beaux ; j'en connais d'immortels qui sont de purs sanglots ». Ces paroles ne s'appliquent-elles pas à la douleur de David : « Je suis dans l'angoisse à cause de toi, Jonathan, mon frère! Tu étais pour moi plein de charmes ; ton amour pour moi était merveilleux » (2 Sam. 1 : 26) ?
Pourtant, ce même Jonathan, dont le profond attachement est indéniable, ne suivra pas David jusqu'au bout et sera entraîné dans la ruine avec son père Saül. Une chose lui manquait, et son histoire nous prouve qu'il ne suffit pas d'un amour vrai et sincère pour la personne de Christ pour l'honorer jusqu'à la fin de notre course. Constatation troublante, qui doit nous faire beaucoup réfléchir à la solennelle leçon que Dieu veut nous donner par la vie de Jonathan. Nous aimerions tellement que son histoire s'arrête lors de l'épisode de 1 Samuel 18. Mais pour notre instruction, Dieu ne nous révèle pas seulement les premiers actes, mais aussi les derniers de ses serviteurs (2 Chr. 25 : 26 ; 26 : 22).
Jonathan essaie à plusieurs reprises d'intervenir auprès de son père comme médiateur. Quand David s'écrie : « Qu'ai-je fait? Quelle est mon iniquité, et quel est mon péché devant ton père, qu'il cherche ma vie ?… Il n'y a qu'un pas entre moi et la mort ! » (1 Sam. 20 : 1-3), Jonathan, aveuglé par son affection naturelle pour son père, ne se montre pas aussi alarmé, mais promet de sonder les intentions de Saül (v. 12) et d'en informer David. Il semble toujours compter sur la possibilité d'un revirement chez son père ; il n'a pas encore réalisé la ruine totale de la chair.
Au cours du repas de la nouvelle lune, Saül demande : « Pourquoi le fils d'Isaï n'est-il venu au repas, ni hier ni aujourd'hui? » (1 Sam. 20 : 27). Lorsqu'il nourrit des pensées de haine et de meurtre à l'égard de son gendre, il lui donne ce nom méprisant, rappelant son humble origine : « le fils d'Isaï » (1 Sam. 20 : 27, 30, 31 ; 22 : 7, 13) ; lorsqu'il éprouve un repentir passager, il l'appelle : «mon fils David » (1 Sam. 24 : 17 ; 26 : 17, 21, 25).
Jonathan répond calmement à la question, mais le roi, incapable de se contenir plus longtemps, injurie et son fils et sa propre épouse : « Fils de la femme perverse et rebelle... tu as choisi le fils d'Isaï à ta honte » (1 Sam. 20 : 30). Et lorsque Jonathan a le courage de prendre ouvertement parti pour David : « Pourquoi serait-il mis à mort? Qu'a-t-il fait ? » (1 Sam.20 : 32), Saül jette sa lance contre lui pour le frapper. La Parole ajoute que « Jonathan se leva de table dans une ardente colère... car il était affligé à cause de David, parce que son père l'avait outragé » (1 Sam. 20 : 34).
Jamais Jonathan n'a été aussi grand, aussi noble que dans ce moment pathétique, où il prend la défense de David méprisé ! Il ne mentionne pas l'injure faite par Saül à lui-même et à sa mère, mais l'outrage fait à David le fait bondir. Quelle leçon aussi pour nous, qui sommes souvent bien plus disposés à revendiquer nos droits que ceux du Seigneur ! Nous sommes profondément vexés ou offensés par la moindre injure personnelle, mais nous supportons que l'on traîne dans la boue le nom et les droits du Seigneur. Cette ardente colère de Jonathan était selon Dieu, en présence de l'endurcissement de son père (comparer aussi avec celle de Moïse en Ex. 11 : 8 et celle du Seigneur en Marc 3 : 5).
Jonathan a-t-il perdu ses dernières illusions ? Son départ de la salle semble être une rupture ouverte avec son père, et celui qui lirait cette scène pour la première fois pourrait se demander : Que va-t-il se passer? Est-ce que maintenant Saül va persécuter son fils Jonathan aussi bien que David ?
Allons-nous voir dorénavant Jonathan aux côtés de David, estimant l'opprobre de David un plus grand trésor que les richesses de la cour ? C'est réellement un tournant dans sa vie ; il est à l'heure de la décision ; de son attitude présente dépendra le cours de sa vie ultérieure.
Jonathan sort vers David aux champs. Tous deux réalisent en ce moment solennel que cette entrevue sera peut-être la dernière. David connaîtra désormais la vie d'un banni, d'un proscrit, d'un exilé. Et quand il tombe, la face contre terre, et se prosterne par trois fois, ne montre-t-il pas qu'il se soumet entièrement aux voies mystérieuses de Dieu à son égard ?
Dans notre esprit surgit l'image d'un plus grand que lui, celle du vrai David, qui, dans le jardin de Gethsémané, tombe sur sa face en disant au Père : « Que ta volonté soit faite », et prie par trois fois, disant les mêmes paroles. Lorsque David, faible image de Christ, va s'engager dans son chemin de souffrance, il éprouve dans son âme l'amertume de l'abandon, de l'isolement ; il a le pressentiment des angoisses qui l'attendent. « Ils pleurèrent l'un avec l'autre, jusqu'à ce que les pleurs de David devinrent excessifs » (1 Sam. 20 : 41). Et nous ne risquons guère de nous tromper en supposant que le motif de cette douleur excessive réside dans le fait qu'il devra suivre ce chemin de rejet seul, sans son ami Jonathan.
Pour celui-ci, l'heure de la décision devient celle de la séparation. Quelle déception quand nous l'entendons dire à David : « Va en paix, selon que nous avons juré... Et David se leva et s'en alla ; et Jonathan entra dans la ville » (v. 42, 43). Est-ce bien là le même Jonathan, qui s'était dépouillé de tout pour en revêtir son ami et l'avait défendu auprès de son père au péril de sa vie? Il a atteint la limite extrême du dévouement dont il est capable. Il ne réalise pas ce que serait le privilège à nul autre pareil de partager les souffrances et le rejet de David. Une chose lui manque : il n'est pas prêt à quitter son père, sa famille et sa maison, pour s'associer à un David méprisé. Sans doute, sa position à la cour et son respect pour son père rendaient une telle décision bien difficile - et nous nous garderons de le juger trop rapidement - mais il est évident qu'une foi plus réelle et plus profonde l'aurait fait agir différemment.
« David partit de là et se sauva dans la caverne d'Adullam » (1 Sam. 22 : 4). Là, Dieu lui envoya quatre cents compagnons qui étaient désireux de partager son rejet. Que de fois David, de son lieu fort, a dû regarder vers ceux qui venaient chercher refuge auprès de lui, espérant que Jonathan serait peut-être parmi eux ! Combien son absence l'a peiné !
Sans doute, Jonathan ne l'a pas oublié complètement ; il connaissait même sa retraite cachée dans le désert de Ziph. Bravant la colère de son père, il vient lui dire : « Ne crains pas, car la main de Saül, mon père, ne te trouvera pas; et tu régneras sur Israël, et moi je serai le second après toi » (1 Sam. 23 : 17). Cette affirmation était vraisemblablement conforme à la pensée de Dieu... si Jonathan s'était associé à David rejeté. Mais ici encore, « David demeura dans le bois, et Jonathan s'en alla à sa maison » (1 Sam. 23 : 18). Pauvre Jonathan, au lieu d'être le second après David sur le trône, il sera le premier dans le terrible jugement que Dieu va faire fondre sur son père (31 : 2) !
Chers amis, quel solennel avertissement que la fin de l'histoire de Jonathan ! Il a été placé, comme nous le sommes souvent, devant un choix à faire, et malgré son affection réelle pour David, il a mal choisi. Que de fois une décision importante (choix d'une épouse, d'un époux, d'un métier...) peut modifier complètement le cours de notre vie ! Des problèmes peuvent se présenter, à vues humaines presque insolubles, mais sommes-nous disposés à suivre Christ coûte que coûte ? Que de jeunes nous avons connu qui, après avoir manifesté un amour réel pour le Sauveur, se sont détournés vers le monde, pour ne pas subir l'opprobre pour Christ ici-bas! Que de parents chrétiens songent avec douleur à leurs enfants qui, à l'heure de la décision, ont tourné résolument le dos à Christ, et se sont éloignés du lieu de la bénédiction !
Pour ceux qui auraient tendance à glisser vers le monde, rappelons les paroles douloureuses du Seigneur à ses apôtres : « Et vous, voulez-vous aussi vous en aller ? » (Jean 6 : 67). Le prophète Jérémie n'a-t-il pas lancé cet appel touchant : « Reviens, Israël l'infidèle, dit l'Eternel ; je ne ferai pas peser sur vous un visage irrité, car je suis bon, dit l'Eternel ; je ne garderai pas ma colère à toujours. Seulement, reconnais ton iniquité » (Jér. 3 : 12).
D'après J. Kiehm - article paru dans « Feuille aux jeunes »