APPRENDRE LE CHRIST (5)
Son abaissement volontaire
Si différents que soient entre eux les descendants d'Adam, ils possèdent un trait commun et universel qui est la conscience de leur propre importance. Il n'est pas besoin de nous connaître beaucoup pour en convenir : le fond de notre nature tend invariablement à justifier et à glorifier le « moi ». Nous élever nous-même est une tendance aussi ancrée en nous que celle d'un arbre à pousser vers le haut.
D'où les contestations qui surgissent inévitablement entre les hommes à tous les niveaux. Cherchant réciproquement à s'égaler et à se dépasser, ils se trouvent en concurrence et les conflits naissent. « Ce n'est que de l'orgueil que vient la querelle », tel est le diagnostic de l'Ecriture (Prov. 13 : 10). D'où aussi le remède souverain que Paul indique aux Philippiens : « Que dans l'humilité chacun estime son frère supérieur à lui-même » (Phil. 2 : 3…). Exhortation qui serait contre nature, cruelle et aussi vaine que des efforts pour courber durablement une plante vers le sol ; si nous ne possédions une vie nouvelle dont l'humilité est appelée à constituer un des fruits les plus évidents (Col. 3 : 12).
Lorsque l'apôtre, dans le passage cité plus haut, invite les Philippiens à avoir un même sentiment, une commune pensée, celle « qui a été aussi dans le Christ Jésus », on s'attendrait à ce que cette grande pensée soit l'amour. Ce n'est pas le cas : il s'agit de l'abnégation, de la mise de côté de soi-même dont Jésus a été l'exemple unique au milieu d'une humanité suivant invariablement le chemin inverse. Au point que Lui-même l'exprime dans un appel qui n'a pas d'équivalent dans notre langage habituel : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce soi-même… » (Matt. 16 : 24) !
A travers « toutes les choses que Jésus commença de faire et d'enseigner, jusqu'au jour où il fut élevé au ciel » (Act. 1 : 1), ce renoncement constitue comme le filigrane.
« En forme de Dieu… prenant la forme d'esclave… trouvé en figure comme un homme, obéissant jusqu'à la mort… la mort de la croix », telles furent les grandes étapes de son chemin solitaire. La crèche de Bethléhem, l'enfance à Nazareth (cette ville méprisée dont le nom s'attache au sien de façon définitive : Act. 3 : 6), le Jourdain où Jean baptisait, le puits de Sichar… sont les lieux où nous le rencontrons. Et en quelle compagnie ? Sa mère, son père nourricier, sont des humbles, ses hérauts des bergers, ses disciples des gens lettrés et du commun, les objets de son intérêt de misérables pécheurs. Lorsqu'il fait son entrée à Jérusalem comme Fils de David, sa monture royale est un ânon, son escorte de pauvres disciples, ceux qui l'acclament de petits enfants. Lazare le mort et Simon le lépreux, Bartimée le mendiant aveugle, Légion le forcené et Marie de Magdala, jadis possédés de nombreux démons, Lévi et Zachée, des publicains méprisés, sont les noms de quelques-uns des personnages qui l'accompagnent, s'asseyent à ses pieds ou le reçoivent dans leur maison. Il n'a pas un lieu où reposer sa tête, pas un denier qu'il puisse montrer aux pharisiens qui l'interrogent. Etant riche, il vit dans la pauvreté pour nous (2 Cor. 8 : 9).
Mais son abaissement sans pareil, nous ne le lisons pas seulement dans les lieux et les personnes qu'il choisit de fréquenter. C'est l'esprit même, la pensée profonde qui inspire de façon permanente ses actes, ses décisions, ses paroles. Quand sa renommée se répand et que tous le cherchent, il se retire dans les déserts pour prier (Luc 5 : 15-16). Quand les foules veulent l'enlever afin de le faire roi, il se retire encore sur la montagne, lui tout seul. Quand ses frères l'incitent à monter à Jérusalem pour se faire publiquement connaître et se montrer au monde, il refuse et demeure en Galilée (Jean 6 : 15 ; 7 : 3…). Quand les pharisiens demandent un signe ou qu'Hérode souhaite voir un miracle opéré par lui, il n'y satisfait pas ; c'eût été pour sa propre gloire, non pour celle de Dieu ni pour le bien des hommes (Matt. 16 : 1 ; Luc 23 : 8, 9).
Les flatteries qui dans notre cas ont si vite fait de fortifier la bonne opinion que nous avons de nous-mêmes, n'avaient aucune prise sur Jésus. Il discerne et dénonce hautement l'hypocrisie des hérodiens qui viennent lui tendre un piège sous des dehors cauteleux (Matt. 22 : 15-18). Quand une femme dans la foule élève sa voix pour proclamer bienheureuse la mère d'un tel fils, Il détourne aussitôt l'éloge de sa propre personne et en fait une exhortation ; lorsque les filles de Jérusalem s'apitoient sur Lui qui monte au calvaire, Il dit : « Ne pleurez pas sur moi ; mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants… » (Luc 11 : 27-28 ; 23 : 27-28).
Le renoncement continuel à lui-même est bien la pensée qui a été dans le Christ Jésus, qui l'a habité sans cesse, la ligne directrice qui l'a guidé jusqu'à la croix en même temps qu'elle a marqué de son empreinte chaque instant de sa vie sur la terre. Mais c'est aussi un thème essentiel de son enseignement. Dans la maison du pharisien, il apprend aux convives à choisir leurs places : les plus basses, et à l'hôte à choisir ses invités : les plus misérables (Luc 14 : 7-14). Au milieu de ses disciples disputant qui serait le plus grand, il place un petit enfant, vivante leçon qui ne fut pas apprise, puisque, dans le moment sacré des adieux, autour du mémorial que leur maître vient d'instituer, la contestation reprend sur le même sujet (Luc 9 : 16 ; 22 : 24). Ils sont d'autant moins excusables que la scène relatée en Jean 13 vient apparemment de se dérouler. Le Seigneur a illustré l'instruction non plus par le moyen d'un petit enfant, mais par son propre exemple. Il s'est levé du souper, s'est ceint d'un linge, et a lavé les pieds de ses disciples.
« Je vous ai donné un exemple », a ajouté le Maître. Exemple le plus convaincant qui soit, puisqu'il émane de Celui qui, étant le plus haut, a pris la place la plus basse. Quel que soit le dépouillement, volontaire ou non, que nous pouvons être appelés à connaître en suivant ses saintes traces, combien il restera en deçà de son abaissement à Lui ! « L'esclave n'est pas plus grand que son Seigneur, ni l'envoyé plus grand que celui qui l'a envoyée. « Il suffit au disciple qu'il soit comme son maître… » (Jean 13 : 16 ; Matt. 10 : 25). « Vous suffit-il d'avoir cette pensée qui était dans le Christ Jésus ; vous, suffit-il d'être toujours foulé aux pieds ? » (JND).
(A suivre)
D'après J.K. – article paru dans le « Messager évangélique » (1969)