OÙ ES-TU ?
« Où es-tu », Adam ?
« Où es-tu », pécheur ?
« Où es-tu », croyant ?
« Où es-tu », Adam ?
Adam et Ève « entendirent la voix de l'Eternel qui se promenait dans le jardin au frais du jour » (Gen. 3 : 8). De tout ce qui concerne les relations entre Dieu et l'homme avant la chute, nous ne savons que l'essentiel : Dieu créant l'homme, et bénissant le couple humain (1 : 28) - l'homme institué gardien et cultivateur du jardin des délices de Dieu, avec la liberté d'en jouir lui-même à condition qu'il ne touche pas à l'arbre de la connaissance du bien et du mal - l'homme établi, puis confirmé (1 : 28-30 ; 2 : 19-20) comme dominateur sur tous les êtres vivants - Adam recevant avec joie l'aide qui lui correspond - tout cela fait partie de l’œuvre que Dieu avait trouvée très bonne, dans laquelle Il s'était réjoui et reposé le septième jour. L'homme était appelé à s'en réjouir avec son Créateur, dans ce jardin où Il se promenait « au frais du jour » (3 : 8). Dans l'état d'innocence le couple béni ne pouvait que s'élancer avec joie vers Lui en entendant sa voix.
Et voici qu'ils ont peur, ils se cachent, ou essaient de se cacher quand ils L'entendent ! Ils viennent d'acquérir ce que le Tentateur avait mensongèrement présenté à Ève comme un bonheur suprême dont Dieu aurait voulu les priver : cette connaissance du bien et du mal qui devait les faire égaux à Dieu. Et elle leur fait effectivement connaître le mal, mais en ce qu'ils l'ont commis, et ils en ont conscience. La conscience est désormais là, où la convoitise est entrée, enfantant le péché (Jac. 1 : 15). La défense transgressée, la désobéissance doit avoir sa terrible sanction : la mort. La relation avec le Créateur est rompue. Ils ont honte de leur nudité ; aussi tentent-ils vainement de la cacher à Dieu derrière les arbres, et de se la cacher l'un envers l'autre par ces misérables feuilles de figuier…
Dieu appelle : « Où es-tu ? » (Gen. 3 : 9). Il met le comble à leur effroi. « Tout est nu et découvert aux yeux » de Dieu, par ailleurs trop purs pour voir le mal sans le punir (Héb. 4 : 13 ; Hab. 1 : 13).
Mais cet appel dont l'écho va se perpétuer tout au long de l'histoire humaine, n'implique-t-il pas que la relation que l'homme a rompue par son péché va être reprise sur des bases nouvelles, pour la plus grande gloire de Dieu ? L'homme vient de perdre la communion avec son Créateur, et vient ainsi de se perdre lui-même ; mais, si l'on ose parler ainsi, Dieu a perdu l'homme, son image ; l'homme manque à Dieu. La sentence de mort pourrait être prononcée et exécutée aussitôt, et elle ne l'est pas. Le péché est pourtant là. Comment, quand, par qui, serait-il aboli, ôté du monde ? C'est encore le secret de Dieu. Mais une œuvre s'opérera. Dans le Dieu créateur vont transparaître comme des rayons du Dieu rédempteur. Dieu se remet au travail. Une nouvelle création naîtra, que la première ne faisait que préfigurer, avec un autre Adam, « le dernier Adam », le premier ayant préfiguré « Celui qui devait venir » (Rom. 5 : 14). Ne pressentons-nous pas le premier accent de cette nouvelle « création de Dieu » dans cet appel de la voix divine : « Où es-tu ? » ?
La voix de Dieu n'a pas cessé depuis lors de se faire entendre au sein de la première création, bouleversée par le péché de l'homme. Elle appelle l'humanité pécheresse. Dieu ne s'est jamais laissé sans témoignage, partout sous le soleil et dans toutes les dispensations. Les choses créées invitent les créatures tenues pour les plus ignorantes à discerner « ce qu’il y a d’invisible en Lui, c’est-à-dire à la fois sa puissance éternelle et sa divinité » (Rom. 1 : 20). Mais Il a parlé aussi, en des révélations, et a donné sa loi parfaite à un peuple choisi à cet effet. Et enfin, le plus grand des témoignages a été rendu ici-bas quand Dieu « a parlé dans le Fils », envoyant son Fils unique et bien-aimé (Héb. 1 : 2).
Or, quelle a été, et demeure, la réponse de l'homme naturel, c'est-à-dire de tous les descendants du premier Adam ? Une crainte salutaire en ce qu'elle amènerait la repentance et le besoin de pardon ? Non, c'est, sous des formes diverses, la peur d'un Dieu considéré comme un ennemi. Satan ne cesse d'attiser cette frayeur, dressant ainsi l'homme contre Dieu, de sorte que « la pensée de la chair est inimitié contre Dieu » (Rom. 8 : 7). Qu'il cherche à endormir la conscience par ses séductions, ou qu'il l'effraie par la pensée du jugement, ou encore qu'il l'abuse en parlant d'un Dieu trop bon pour punir, il emploie tout pour tenir le cœur naturel toujours plus loin de Dieu. « J'ai entendu ta voix et j'ai eu peur ». « Je me suis caché », j'essaie vainement de me cacher, mais je veux te chasser de ma pensée, je ne veux pas revenir vers toi. Satan a réussi à faire naître dans le cœur humain à la fois l'orgueil et la frayeur.
Heureux ceux qui auront eu des oreilles pour entendre, et écouté non les insinuations de Satan mais la voix parlant par les prophètes, puis par le Fils de l'amour de Dieu, fait homme et disant à tous : Venez à moi ! - Mais il faut pour cela s'être plié à l'interrogatoire de Dieu, tel que l'ont subi Adam et Ève devenus pécheurs. Après le « Où es-tu ? » vient le « Qu'est-ce que tu as fait ? ». Dieu les fait remonter à la source du mal : la transgression sans aucune excuse possible. Adam a beau rejeter sa faute sur Ève (et indirectement sur Celui qui la lui a donnée comme compagne), et Ève a beau la rejeter sur le serpent, l'un et l'autre sont contraints de dire : « J'ai mangé » du fruit de l'arbre. Ève est tombée dans la transgression au lieu de courir vers son mari pour chercher conseil et protection auprès de lui dont elle dépendait. Adam a été séduit par sa femme insoumise, et a pris d'elle le fruit défendu, en toute connaissance de cause, et il est d'autant plus coupable - tous deux confessent leur péché. Dès lors, la grâce peut agir, non point en atténuant ou en excusant la gravité de la faute, au contraire, mais en révélant qu'une issue a été préparée. Au « Qu'est-ce que tu as fait ? » doit répondre le « Qu'ai-je fait ? » du repentir (Jér. 8 : 6).
Merveilleux, divin ordre des choses : avant de prononcer la sentence concernant la femme puis l'homme, Dieu a placé devant eux la condamnation et l'écrasement du serpent. Le péché du monde ôté, tel est l'aboutissement des voies divines à partir de l'entrée du péché dans le monde ; les conséquences sont là, elles ne peuvent être levées que par le talon brisé en écrasant la tête du serpent. Voilà ce qu'entendent Adam et Eve, leur regard peut se porter vers cette « descendance de la femme », et sa victoire au prix de ses souffrances. Dieu a parlé. Oui, bienheureux ceux qui auront cru.
Si pitoyable qu'ait été par ailleurs leur attitude, Adam et Ève ont été de ceux-là. Ils ne peuvent qu'accepter avec soumission la sentence prononcée quant aux tristes conséquences de leur faute, mais ils montrent qu'ils ont saisi, cru, la promesse impliquée dans l'écrasement de la tête du serpent et liée à « la descendance de la femme ». Adam, qui vient d'entendre que, poussière, il retournera à la poussière, appelle sa femme « la mère de tous les vivants », et non des morts. Et quant à Ève, elle devait un peu plus tard errer par le nom qu'elle donne à son premier-né (ce n'est pas lui la semence annoncée), puis souffrir d'avoir enfanté un meurtrier fratricide, mais du moins avait-elle compris que c'était de sa propre descendance que naîtrait, un jour, un homme selon le cœur de l'Éternel, l'homme sans péché.
Ne manquons pas de relever encore le fait touchant, précieux et solennel à la fois, que Dieu se hâte de montrer : Lui seul peut et veut fournir les vêtements qui couvrent l'évidence du péché commis, et cela avant même que ses chérubins ferment aux coupables l'accès à l'arbre de vie. Il n'y a plus place pour cet arbre dans une création asservie à la corruption par le péché de l'homme, et celui-ci est chassé « hors du jardin » ; Adam ne saurait cultiver Éden, il aura à labourer péniblement un « sol maudit » à cause de lui. Mais il y aura une nouvelle création, et nous y entrons par la foi.
Ceux qui ont prêté l'oreille à l'appel de Dieu et reconnu qu'ils s'étaient éloignés de Lui appartiennent en effet, désormais, et cela par une nouvelle naissance, à cette nouvelle création. Ils sont passés de la mort à la vie. Ils ont la bienheureuse certitude du repos, de la paix, dans une nouveauté de vie. Le péché qui souille la première création a eu son châtiment, et il n'y a « maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus » (Rom. 8 : 1). Christ mort et ressuscité nous introduit dans la sphère des bénédictions célestes, et pour l'éternité. Nous sommes ainsi admis (quelle grâce !) à « entrer dans le repos même de Dieu » (Héb. 4), à en jouir avec Lui. Que tous les croyants se pénètrent de cette pensée que c'est là leur portion, leur position en Christ. Un « nouvel homme » est en eux, appelé à connaître dès maintenant ce repos de la conscience et du cœur. Nous ne saurions trop insister sur cette vérité fondamentale.
Mais ce nouvel homme voisine encore, hélas, dans nos « corps mortels », avec « nos membres qui sont sur la terre », qui veulent encore obéir à « la loi du péché ». Il en est ainsi tant que dure notre existence terrestre dans ces « corps d’abaissement » (Phil. 3 : 21). Nous avons à tenir ce vieil homme pour mort, et hélas, nous ne faisons que trop souvent l'expérience qu'il est toujours là. L'enfant de Dieu n'a qu'une ressource, mais elle est toute-puissante, et elle est toujours la même depuis Adam et Ève : reconnaître et confesser à Dieu notre péché, dire : « Qu'ai-je fait ? », et nous abandonner à la grâce divine. Elle nous confond, surabondant là où le péché a abondé (voir Rom. 5 : 20). Et elle continue toujours de nous appeler : « Où es-tu ? ». Aucune jouissance effective de notre communion « qui est avec le Père et son Fils Jésus Christ » (1 Jean 1 : 3) sans cette repentance à salut, dont on n'a pas de regret (2 Cor. 7 : 10), qui répond à l'inlassable appel. La communion en elle-même est immuable, elle est prête, pour ainsi dire, à être goûtée de nouveau. Dieu continue à nous appeler « à son propre royaume et à sa propre gloire » (1 Thes. 2 : 12) parce qu'Il a fait de nous ses enfants.
Croyants, comment répondons-nous à son : « Où es-tu ? »
A. Gibert - « Messager évangélique » 1984 (p. 5-11)