ETUDE SUR L’EPITRE AUX HEBREUX (INTRODUCTION)
INTRODUCTION
L’auteur de l’épître aux Hébreux
La langue dans laquelle a été écrite l’épître aux Hébreux
Les destinataires de l’épître
But et brève analyse de l’épître aux Hébreux
L’Etude sur l’épître aux Hébreux que nous proposons a été écrite par Emile GUERS en 1862. Le texte a été parfois adapté et simplifié afin d’en rendre la lecture plus facile.
Selon le vœu de l’auteur lui-même, « qu’il plaise à Dieu de bénir cette Etude et de la faire servir à sa gloire en Jésus Christ ».
Au sujet de l’épître aux Hébreux, plusieurs questions se posent habituellement :
- Qui est l’auteur de cette épître ?
- Dans quelle langue a-t-elle été originairement écrite ?
- A quels lecteurs a-t-elle été d’abord adressée ?
Après avoir essayé de répondre à ces diverses questions, nous indiquerons le but de l’épître et nous en donnerons aussi une brève analyse.
L’auteur de l’épître aux Hébreux
Le nom de l’auteur ne se trouve nulle part dans l’épître. Toutefois, on peut dire qu’il se devine au travers de chaque chapitre. Les preuves de cette assertion sont de deux sortes :
- les unes internes et les autres externes ;
- les unes puisées dans l’étude de l’épître elle-même, et les autres dans le témoignage d’anciens commentateurs.
Des preuves internes
Les enseignements de Paul : Si l’on compare cette épître aux lettres universellement attribuées à l’apôtre Paul, il ressort avec une entière évidence qu’elle est du même auteur : les points de ressemblance entre ces divers écrits sont aussi nombreux qu’ils sont frappants.
On trouve le même enseignement, par exemple, sur l’infinie supériorité de la nouvelle dispensation ? même si le parallèle entre les deux économies n’est pas introduit de la même manière, parce que les circonstances ou les occasions ne sont pas les mêmes. Ce qui est le but principal dans l’épître aux Hébreux, n’est plus que secondaire, dans les autres épîtres : par exemple, Héb. 2 : 2-4 ; 8 : 8-11 ; 10 : 1-18 peut ainsi être comparé avec Gal. 4 : 1-9 ; 2 Cor. 3).
Le même enseignement est donné sur la personne de Jésus Christ Fils de Dieu et Fils de l’homme, image du Père, reflet de sa gloire, Créateur et Conservateur des mondes… (Héb. 1 : 2-3 ; 2 : 8-9, 14 ; 12 : 2 à comparer avec Eph. 3 : 9 ; 1 Cor. 8 : 6 ; Col. 1 : 15-20 ; Phil. 2 : 6-11 ; 2 Cor. 8 : 9...)
Il y a la même insistance sur l’importance du sacrifice expiatoire du Seigneur qui occupe partout la première place dans les écrits de l’apôtre (Héb. 1 : 3 ; 2 : 9, 14-15 ; 4 : 14-16 ; 5 : 8-9 ; 7-8 ; 12 : 24… à comparer avec 1 Tim. 1 : 15 ; 1 Cor. 15 : 3 ; Rom. 3 : 22-27 ; 4 : 25 ; 8 : 32 ; Gal. 1 : 4 ; 2 : 20 ; Eph. 5 : 2… ; Rom. 5 : 1, 8-21…).
La doctrine concernant l’entrée de Jésus au ciel et son intercession est identique (Héb. 7 : 25 ; 8 : 2 ; 9 : 12 à comparer avec Rom. 8 : 34...)
Le même Nom est donné à Dieu : le « Dieu de paix », expression qui appartient exclusivement à l’apôtre Paul (Héb. 13 : 20 à comparer avec Rom. 15 : 33 ; 1 Thes. 5 : 23), ainsi que le nom de médiateur donné à Jésus Christ (Héb. 8 : 6 ; 9 : 15 ; 12 : 24 à comparer avec 1 Tim. 2 : 5).
La composition : Il y a des analogies dans la manière dont Paul présente ses épîtres et la même disposition générale des idées.
Ainsi, par exemple, la présentation des points de doctrine précède les conséquences pratiques qui en découlent (Héb. 1 à 10 : 18, puis la fin de l’épître, à comparer avec Rom. 1 à 11, puis 12 à 16 ; Eph. 1 : 2, 3, puis 4 à 6…)
La manière d’introduire et d’interpréter les Ecritures de l’Ancien Testament est la même, ainsi que l’abondance de citations et la variété d’arguments déduits de ces citations. (Héb. 3 : 2 et suiv. ; 6 : 13 et suiv. ; 10 : 11 ; 12 : 5-6 et suiv. ; 13 : 5-6, etc. cp. avec Rom. 9 : 7 et suiv. ; 10 : 5 et suiv. ; 11 : 3 et suiv. ; 13 : 9-10, etc. – Héb. 8 : 1-5 ; 9 : 1-10 cp. avec Gal. 4 : 24 et suiv. ; 1 Cor. 10 : 1-5 ; 2 Cor. 3 : 13, 14 ; Eph. 5 : 31-32, etc.)
On retrouve la même façon de suspendre tout à tour et de reprendre certaines argumentations. (Héb. 4 : 3-10 ; 5 : 11, à 7 : 1 ; 8 : 5 à 9 : 1 à comparer avec Rom. 2 : 6-16 ; 5 : 12-18 ; Eph. 3 : 1-13, etc.)
Enfin, de nombreuses affinités de style peuvent être remarquées entre cette épître et les écrits reconnus de Paul ; certaines constructions grammaticales et tournures délicates se retrouvent dans les épîtres universellement attribuées à l’apôtre.
Telles sont quelques-unes des concordances d’idées et de style qui désignent Paul comme étant très probablement l’auteur de l’épître.
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Des indices personnels : Commencée comme un traité, l’épître prend bientôt la forme d’une lettre. Dans les rapports particuliers de l’auteur avec ses lecteurs immédiats, y a-t-il quelques indices propres à jeter du jour sur la question qui nous occupe ? Paul est dans les chaînes (10 : 34), et il demande à ses lecteurs de prier pour qu’il leur soit rendu plus tôt (13 : 18-19) ; il leur parle de Timothée comme Paul a coutume de parler de son disciple bien-aimé (v. 23) ; il leur rappelle que celui-ci a été relâché, ou mieux, peut-être, qu’il est parti, qu’il a été envoyé, et leur dit qu’après son retour il espère, lui, Paul, les visiter avec lui ; il les salue, enfin, de la part de ceux d’Italie (v. 24). Tels sont les rapports de l’auteur avec les Hébreux. Or, toutes ces circonstances coïncident parfaitement avec l’histoire de Paul : après une longue détention à Césarée, où les frères de cette ville avaient obtenu la permission de le visiter et de le servir, il était présentement à Rome, où leur sympathie chrétienne l’avait suivi, mais il attendait bientôt sa libération (Phil. 2 : 24). Timothée, venu d’Ephèse, avait été auprès de lui (Phil. 1 : 1 ; Col. 1 : 1), mais ne s’y trouvait plus à ce moment ; l’apôtre, selon la promesse qu’il avait faite aux Philippiens (Phil. 2 : 19), le leur avait probablement envoyé afin de connaître exactement, par son moyen, leur état actuel ; et maintenant il attendait son retour. Ce sont autant de particularités qui désignent Paul comme étant l’auteur de l’épître ; plus on les considère, et plus l’identité frappe ; la situation est tellement particulière qu’on ne peut raisonnablement l’attribuer à des personnes différentes.
Mais il y a un verset qu’on oppose d’ordinaire à la thèse que nous soutenons : « Comment échapperons-nous, si nous négligeons un si grand salut, qui a commencé d’être annoncé par le Seigneur et nous a été confirmé par ceux qui l’avaient entendu ? » (3 : 2). L’apôtre qui s’écrie ailleurs : « Je suis assuré que (rien) ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu, qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur (Rom. 8 : 38-) » peut-il se croire en danger de négliger le salut ? Celui qui se montre si jaloux de tenir directement sa mission du Seigneur (Gal. 1 : 12), peut-il - surtout quand il parle à des judéo-chrétiens si peu disposés à la reconnaître -s’attribuer ainsi de fait un apostolat de « seconde main » ? Nous répondons sans hésiter que l’apôtre peut fort bien user ici de la première personne du pluriel (nous) puisqu’il le fait ailleurs et d’une manière bien plus forcée - par exemple, Romains 8 : 11-13, où il emploie la seconde personne pour la première, et 1 Thes. 4 : 15, 17, où il l’emploie pour la troisième. Il s’identifie souvent avec l’Eglise entière et rien n’empêche, qu’il ait pu dire ici : « Comment échapperons-nous si nous négligeons un si grand salut ? » ; et même il ajoute que ce grand salut lui avait été confirmé par ceux qui l’avaient entendu annoncer de la bouche du Seigneur, puisqu’il avait reçu de Pierre et d’autres apôtres la déclaration positive, authentique, de la parfaite exactitude de sa doctrine, et de la pleine harmonie de ses enseignements avec les leurs (Gal. 2 : 6-10).
Des preuves externes
Pierre déclare aux chrétiens juifs de l’Asie Mineure : « Estimez que la patience de notre Seigneur est salut, comme notre bien-aimé frère Paul aussi vous a écrit selon la sagesse qui lui a été donnée » (2 Pier. 3 : 15-16). Or, il n’existe aucune lettre de Paul spécialement adressée aux Juifs convertis, si celle aux Hébreux n’est pas de lui. Pierre mentionne, comme étant contenues dans la lettre à laquelle il fait allusion, certaines choses qui se trouvent justement dans celle aux Hébreux, telles que la patience du Seigneur, laquelle, dit cet apôtre, est pour notre salut (Héb. 6 : 12, 15 ; 9 : 28 ; 10 : 36, 37). Il ajoute que cette même lettre renferme des choses difficiles à comprendre, ce que l’auteur de l’Epître aux Hébreux, reconnaît lui-même (5 : 11).
On prétend, il est vrai, que Pierre n’écrivait qu’à des Gentils, et, pour preuve, on cite 1 Pier.1 : 14 ; 2 : 9-10 ; 4 : 3 ; mais ceux qui vivaient en étrangers dans la Dispersion (1 Pier. 1 : 1) n’étaient-ils pas des chrétiens juifs disséminés dans les diverses contrées du monde alors connu, notamment dans l’Asie Mineure ? Et quant au passage de 1 Pierre 2 : 9-10, tiré d’Osée 1 : 10 ; 2 : 23, n’est-il pas évident qu’il se rapporte de même à des enfants d’Israël ? N’est-ce pas encore à ceux-ci que s’appliquent 1 Pier. 1 : 14 ; 4 : 3 ? Leur caractère, hélas ! avant leur conversion, ne répondait que trop au triste portrait qu’en fait ici l’apôtre ; ils accomplissaient la volonté des Gentils, marchant dans les mêmes excès qu’eux et dans les mêmes criminelles idolâtries, selon la parole prophétique de Moïse (Deut. 28 : 36, 64 ; 32 : 37-38). Le témoignage de Pierre est donc positif. Et qu’on n’objecte pas non plus que cet apôtre écrivait aux chrétiens juifs de l’Asie Mineure, tandis que Paul écrivait à ceux de la Judée ; car, adressée d’abord à ces derniers, la lettre était bien certainement destinée à circuler ensuite parmi tous les autres Juifs convertis.
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La langue dans laquelle a été écrite l’épître aux Hébreux
Parmi les anciens auteurs ecclésiastiques, les uns ont pensé que l’épître avait été primitivement écrite en hébreu par l’apôtre, puis traduite en grec par un de ses disciples ; les autres, en plus grand nombre, ont cru qu’elle avait été originairement composée en grec.
Clément d’Alexandrie est le premier, à notre connaissance, qui ait supposé l’existence d’une lettre primitive écrite en hébreu ; il était convaincu que Paul, écrivant aux Hébreux, avait dû le faire dans leur propre langue. Mais cette opinion que d’autres ont adoptée après lui n’a pas de fondement historique ; les écrivains qui l’ont mise en avant ne disent pas avoir jamais vu eux-mêmes, ni rencontré personne qui ait vu un seul exemplaire de l’épître ; et cependant quelques-uns d’entre eux ont recueilli avec le plus grand soin les documents primitifs du christianisme.
Les théologiens qui partagent l’opinion de Clément d’Alexandrie, la fondent sur le même raisonnement : Paul écrivant à des Hébreux a dû le faire dans leur propre langue. Mais, avec le même motif, il aurait dû écrire aux Romains en langue latine, et cependant nous savons qu’il le fit en grec. C’était dans cette dernière langue qu’il écrivait habituellement, et certainement pour de bonnes raisons : le grec était généralement compris alors dans tout l’empire romain ; en particulier, il était universellement répandu dans l’Orient sous la domination des successeurs d’Alexandre, et c’était la langue officielle des Procurateurs romains de la Judée. Les autorités religieuses de ce pays en favorisaient aussi l’usage, et un article de la Mischna défendait même aux Juifs d’écrire dans une autre langue. Paul ne pouvait donc mieux faire que d’écrire en grec la lettre qu’il destinait aux chrétiens juifs de la Palestine et qui devait circuler ensuite parmi leurs frères dispersés dans tout l’empire, ne connaissant pour la plupart ou ne pratiquant pas d’autre langue. C’est probablement par la même raison que le Saint Esprit a voulu que tout le Nouveau Testament soit écrit dans cette langue qui était universellement comprise et même parlée alors, et qui devait, comme objet d’étude, subsister aussi longtemps que les beaux monuments de sa riche littérature.
A l’appui de la même thèse on propose un autre argument qui, selon nous, ne vaut guère mieux : l’épître aux Hébreux est d’un grec moins rude, plus pur que le grec ordinaire de Paul, ce qui ne peut s'expliquer, dit-on, qu’en admettant l’existence d’une lettre primitive écrite en hébreu par l’apôtre et traduite ensuite par un de ses disciples dont le style grec est plus correct que le sien. La conclusion n’est pourtant pas rigoureuse ; car le fait de la supériorité de style s’expliquerait tout aussi facilement dans l’hypothèse d’Origène qui supposait un rédacteur dont le style est plus pur, plus classique que celui de Paul, que dans l’hypothèse de Clément d’Alexandrie qui supposait un traducteur.
Mais il est une manière bien simple de se rendre compte de la supériorité de style qu’on remarque dans l’épître aux Hébreux. Comme l'a écrit un autre : « Ne sait-on pas que l’apôtre, indépendamment de son inspiration, était, pour son style, à la hauteur de sa tâche, soit par son éducation, soit par son génie ? N’était-il pas né et n’avait-il pas appris les lettres grecques dans la colonie grecque de Tarse, ville renommée pour sa culture ? Ne l’entend-on pas citer en plusieurs occasions les poètes des Grecs (Act. 18 : 28 ; 1 Cor. 15 : 33 ; Tite 1 : 12) ? Ne montre-t-il pas, en d’autres endroits de ses écrits, ce qu’il savait faire ? S’il était, comme il le dit, « homme ordinaire pour le langage » (2 Cor. 11 : 6), c’était par l’accent et non par l’expression ni par la pensée. Et s’il avait jugé sage d’écrire aux Gentils des lettres sans apprêt, il pouvait trouver sage aussi d’en adresser une à tout son peuple dans une composition plus entraînante et plus étudiée ».
Reste donc la seconde opinion : l’épître a été primitivement écrite en grec ; c’est la seule admissible à notre avis. Elle est confirmée par le fait que l’auteur y cite la version grecque des Septante absolument de la même manière qu’il le fait dans ses autres épîtres, et que, dans les passages qu’il invoque, il suit presque toujours la leçon que cette version donne, même là où elle diffère le plus de l’hébreu ; il en appelle plus d’une fois aux Septante dans les cas où toute la force du développement dépend du sens que le passage allégué reçoit dans leur version et non dans le texte original (par exemple Héb. 1 : 7 ; 2 : 7 ; 8 : 9 ; 10 : 5 ; 11 : 21…). C’est là du reste un point sur lequel nous aurons à revenir. Et puisqu’il est question de la version des Septante, qu’il nous soit permis d’ajouter un mot sur la manière dont Paul et en général les auteurs du Nouveau Testament la citent. Ils le font de deux ou trois manières différentes. Tantôt ils la citent textuellement, et ils en acceptent pleinement le sens. Tantôt ils la modifient plus ou moins d’après l’original, ou selon le but qu’ils se proposent. D’autres fois, ils la paraphrasent ou se bornent à y faire de simples allusions. Mais ils apposent toujours, à ce qu’ils en citent comme à la manière dont ils le font, le cachet de leur autorité apostolique. Il est bien clair que partout ailleurs ils ne la sanctionnent en aucune façon ; ils n’entendent point garantir la Version des Septante comme telle, bien qu’ils la citent habituellement ; pour eux, comme pour leur nation, comme pour nous-mêmes, c’est l’original hébreu qui seul est et demeure la Parole inspirée.
Cette épître a reçu, dès le commencement, le titre qu’elle porte encore aujourd’hui : épître aux Hébreux. On appelait « Hébreux » les Juifs qui habitaient la Palestine, parlaient l’hébreu de cette époque (bien que comprenant et parlant aussi le grec), et lisaient l’Ecriture dans l’original hébreu. On donnait le nom d’Hellénistes ou Grecs aux Juifs dispersés dans les contrées païennes de l’Empire, parlant le grec et lisant l’Ecriture dans la version des Septante. Il s’en trouvait aussi beaucoup dans Jérusalem et dans la Judée. Il y avait des chrétiens parmi les Hébreux et il y en avait également parmi les Hellénistes (Jean 7 : 35 ; 12 : 20 ; Act. 6 : 1 ; 9 : 29 ; 11 : 20...).
C’est aux premiers, c’est-à-dire aux chrétiens juifs de la Palestine, que l’épître a été spécialement destinée. Toute l’antiquité chrétienne l’atteste, et le contenu de l’épître le confirme entièrement. La manière dont l’auteur parle du culte lévitique ne saurait convenir qu’à des lecteurs parfaitement initiés à la pratique du rituel juif, vivant à proximité de Jérusalem et de son temple, et pouvant en suivre les assemblées solennelles.
C’était en Judée, à Jérusalem, que s’accomplissaient les cérémonies auxquelles il est fait continuellement allusion. Là, les fidèles de la Circoncision avaient les premiers reçu la connaissance de la vérité (Héb. 5 : 12) ; ils avaient souffert dès le commencement pour le Nom de Christ (10 : 32-33 ; Act. 8 : 1). C’était là surtout que, soit par la violence de leurs adversaires, soit par les sophismes des scribes, soit enfin par la séduction de leurs propres cœurs, ils étaient le plus exposés au péril de l’apostasie. En général, l’épître est pleine de choses qui conviennent mieux aux chrétiens juifs de la Palestine qu’à leurs frères de la Dispersion. Nul doute cependant qu’elle n’ait été destinée à circuler aussi parmi ces derniers qui pouvaient trouver dans leur ancien attachement à la religion de leurs pères les mêmes tentations qu’y rencontraient leurs frères de Judée. Ainsi on peut considérer l’épître aux Hébreux comme une espèce de circulaire destinée à être lue par tous les Juifs que l’apôtre avait pu connaître et évangéliser, et rédigée, à cet effet, dans une langue également familière aux Hébreux et aux Hellénistes.
Mais les Juifs convertis n’existaient pas isolément ; ils étaient réunis en églises locales, selon l’intention du Seigneur. La question se pose alors : A laquelle de ces communautés particulières de la Palestine l’épître a-t-elle été premièrement adressée ? Probablement à celle de Césarée. C’était l’une des plus anciennes assemblées fondées dans ce pays ; Paul avait eu de fréquentes occasions d’en connaître personnellement les croyants, et il en avait reçu, alors qu’il était emprisonné, les témoignages du plus tendre intérêt (Act. 9 : 30 ; 18 : 22 ; 21 : 12-16 ; 23 : 23 ; 24 : 27 à comparer avec Héb. 10 : 34). Les premiers chrétiens de Césarée furent, il est vrai, des païens convertis (Act. 10) ; mais on ne peut douter que cette ville n’ait aussi compté un grand nombre de Juifs appelés de bonne heure à la connaissance de Christ (Héb. 5 : 12 ; 10 : 32) ; et il n’est pas non plus improbable, vu leur éloignement pour les Gentils, qu’ils n’aient formé une communauté particulière à laquelle Paul aurait spécialement destiné sa lettre.
Diverses circonstances, également indiquées dans l’épître, semblent confirmer ce que nous avançons. Les chrétiens auxquels l’apôtre s’adresse avaient souffert pour l’évangile ; or, Césarée, où se trouvaient les Juifs riches et puissants, zélés pour la loi de Moïse, et où résidait Hérode Agrippa, ne dut pas échapper à la persécution que ce prince ambitieux fit endurer aux chrétiens de Jérusalem pour complaire aux Juifs de cette cité. Césarée possédait un théâtre construit par Hérode le Grand ; aussi les images que l’auteur emprunte aux spectacles des Grecs devaient-elles avoir pour ses lecteurs immédiats une force de signification qu’elle n’aurait pas eue pour d’autres Hébreux. Césarée n’était, d’ailleurs, qu’à deux journées de Jérusalem, ce qui permettait à ses habitants juifs d’assister fréquemment au service du temple, de connaître à fond l’économie du culte lévitique et de comprendre à merveille les allusions perpétuelles à ce culte faites par l’auteur de l’épître.
De toutes ces considérations réunies, il paraît bien résulter qu’en effet l’épître aux Hébreux, destinée à tous les Juifs convertis de la Palestine, a été envoyée premièrement aux chrétiens de Césarée. L’auteur la leur adressa d’Italie, probablement de Rome où il venait de passer deux années de sa vie si noblement consacrée à Jésus Christ ; il l’écrivit immédiatement avant sa libération, et pendant l’absence de Timothée qu’il avait envoyé en Grèce (Phil. 2 : 19-23) et dont il attendait le retour pour faire avec lui un dernier voyage en Orient. On en fixe ordinairement la date à l’année 63 de notre ère, environ deux ans avant la mort de Paul et 7 ans avant la prise et la destruction de Jérusalem. Le temple subsistait encore avec les magnificences de son culte ; mais, prophète en même temps qu’apôtre, l’auteur annonce que la dernière heure de la cité rebelle va sonner (6 : 8 ; 8 : 13).
But et brève analyse de l’épître
Les Hébreux admettaient la doctrine fondamentale de l’Evangile. Mais, tout en recevant Jésus de Nazareth comme le Messie promis à leurs pères, un bon nombre d’entre eux ne comprenaient pas bien que l’économie qu’Il venait d’inaugurer différerait essentiellement de celle de Moïse ; ils ne pouvaient se faire à l’idée que la Loi sous laquelle ils avaient si longtemps vécu - cette Loi que leurs ancêtres avaient reçue de Dieu par le ministère des anges et la médiation de Moïse, cette Loi sur laquelle le sacerdoce d’Aaron avait jeté tant de lustre, et que Dieu avait confirmée par tant et si éclatantes manifestations de son pouvoir - avait accompli sa tâche et fait son temps.
Les trois grands noms que nous venons de rappeler, les anges, Moïse, Aaron, agissaient magiquement sur leurs esprits pour les ramener au judaïsme. Le Christ n’était guère plus à leurs yeux qu’un Réformateur de leur état civil et religieux, venu pour le redresser selon les institutions de Moïse, institutions qu’ils considéraient comme inaltérables ; et le christianisme n’était pour eux qu’une sorte de complément de la religion de leurs pères, destiné à la développer, à l’épurer, à la spiritualiser, sans l’abolir. Puis, il ne manquait pas au milieu d’eux de faux docteurs pour exploiter habilement leurs préjugés nationaux et les rattacher aux formes extérieures du judaïsme, si ce n’est même pour affaiblir et ruiner leur foi.
C’est une première chose importante qu’il faut comprendre, si l’on veut comprendre l’épître. De plus, il faut se rappeler que par égard à la faiblesse des Hébreux, on leur avait accordé, pour un temps, d’observer les cérémonies du culte national, pourvu qu’ils n’imposent pas ce joug aux Gentils, qu’ils n’en fassent pas une condition de communion fraternelle avec eux, et surtout qu’ils n'y cherchent pas leur propre justification devant Dieu. Il faut aussi tenir compte de l'influence immense des préjugés de naissance, de la force des habitudes religieuses, de la puissance des souvenirs, et de l’attrait qu’avaient pour les Hébreux les imposantes cérémonies d’un culte que Dieu lui-même avait institué et dont les magnificences faisaient un étrange contraste avec la simplicité toute spirituelle de leurs modestes assemblées (10 : 25), qui avaient lieu le plus souvent dans une chambre haute.
Si l’on ajoute à cela la crainte des souffrances et des persécutions pour le Nom de Christ, auxquelles ces chrétiens, souvent mal affermis, étaient alors en butte, si l’on se rappelle qu’il y avait eu dans leurs rangs de tristes défections, et que plusieurs d’entre eux encore étaient en danger de faire naufrage quant à la foi, on comprendra toujours mieux l’épître qui leur est adressée. Il fallait les prémunir contre les menaces et les persécutions du monde, contre ses perfides caresses, avant tout, contre les séductions de leurs propres cœurs, en leur rappelant, d’une part, les châtiments réservés à l’apostasie, et, de l’autre, les gloires destinées à ceux qui auront persévéré jusqu’à la fin. Mais cela ne suffisait pas : il fallait de plus les mettre en garde contre la ruse et les sophismes des faux docteurs, et contre les illusions et les surprises de leurs propres esprits, en leur montrant que cette Loi, pour laquelle ils conservaient encore tant de zèle, n’était qu’une économie inférieure de figures, d’attente et de préparation, qui devait être remplacée, et qui venait de l’être, par l’économie chrétienne, qui en est le terme final et l’accomplissement. C’est là, surtout, ce que l’apôtre s’attache à démontrer dans le corps de son épître (ch. 1 à 4).
Pour établir l’infinie supériorité de la nouvelle économie sur l’ancienne, voici comment l’auteur procède. Il énonce d’abord, en peu de mots, la suprême dignité de Celui qui l’a promulguée (1 : 1-3). Il la prouve ensuite tout au long dans les versets et les chapitres qui suivent. A cet effet, il envisage tour à tour Jésus comme « inaugurateur », médiateur et souverain sacrificateur de l’économie évangélique, et, à ce triple point de vue, il l’élève successivement au-dessus des anges, qui avaient été comme les initiateurs de l’économie lévitique ; de Moïse, qui en avait été l’apôtre ; et d’Aaron et de ses fils, qui en avaient été les sacrificateurs (ch. 1 : 4 – 10 : 18).
C’est la partie essentiellement doctrinale de l’épître. Les trois points que nous venons d’indiquer la résument :
- Jésus Christ, inaugurant la nouvelle économie, est infiniment supérieur aux anges, qui inaugurent en quelque façon l’ancienne ; car Il est leur Créateur, leur Seigneur, leur Maître, l’objet de leur adoration (1 : 4-14). De là, pour les Hébreux, la nécessité de s’attacher plus fortement à la Parole annoncée par le Seigneur et le Prince des anges en personne, et de prendre garde de d'aller « à la dérive » (2 : 1-4). Jésus est, de plus, le Dominateur du siècle à venir, que Dieu a soumis au Fils et non aux anges (v. 5-9).
- Jésus Christ, apôtre, ou médiateur de la nouvelle économie, est infiniment supérieur à Moïse, apôtre ou médiateur de l’ancienne. Moïse n’était qu’un serviteur dans la maison de Dieu ; Jésus est le Maître de cette maison, dont il est aussi le Créateur. De là, pour les Hébreux, la nécessité de veiller à ce que leur cœur ne s’endurcisse pas, comme avait fait celui d’Israël au désert, et à ce que personne, au milieu d’eux, ne se prive du repos de Dieu par une incrédulité pareille à la sienne (ch. 3 et 4 : 1-14).
- Enfin, Jésus Christ, souverain sacrificateur de l’Evangile, est infiniment supérieur à Aaron et à tout le sacerdoce de la Loi. Tout l’établissement mosaïque n’était qu’une image du sacerdoce éternel de Jésus Christ. La vérité une fois venue, les symboles ont-ils encore de l’importance ? L’Evangile une fois donné, quelle est l’utilité du judaïsme ? Il n’a plus de but ni de sens. La Loi, cette économie temporaire et préfigurative, fait place à l’économie finale et éternelle des réalités. L’exposition de ce point capital, commencée au chapitre 4 (v. 14), continue (avec une parenthèse qui rentre dans le plan général de l’épître) jusqu’au chapitre 10 (v.18).
Voilà quelle est la marche générale des idées dans les dix premiers chapitres de l’épître aux Hébreux, qu’il n’est pas possible de soumettre à une analyse rigoureuse. Là finit la partie essentiellement doctrinale de l’épître, et commence la partie plus spécialement pratique, ou l’application plus développée des grandes vérités que l’auteur vient d’exposer.
Il invite ses lecteurs à s’approcher librement de Dieu par la médiation de Jésus Christ ; puis, il les exhorte à persévérer jusqu’à la fin dans la franche profession de leur espérance, et leur présente tous les motifs qui doivent les y engager : avant tout, l’encourageante pensée, évidemment sous-entendue, du grand Sacrificateur qui les assiste de son puissant ministère ; ensuite, la considération des terribles jugements qui attendent l’apostasie, et de la gloire qui est, au contraire, réservée à la persévérance finale (ch. 10) ; l’avènement prochain du Seigneur (même ch.) ; puis, l’exemple de leurs ancêtres pieux (ch. 11), celui par-dessus tout du Seigneur Jésus (ch. 12), et la pensée du but salutaire et du résultat béni des afflictions que nous avons à endurer comme hommes, et surtout comme chrétiens. L’auteur trouve encore un autre motif de persévérance dans la supériorité de la nouvelle dispensation (ch. 12). Dernières et pressantes exhortations de l’apôtre, relatives à l’amour fraternel, à la pureté, au détachement des biens terrestres, à l’imitation de la foi des conducteurs fidèles, à la fermeté dans la profession de la vérité évangélique, etc. Puis, l’auteur sollicite en sa faveur les prières des Hébreux ; il prie lui-même pour eux, leur fait quelques communications personnelles, et les salue en notre Seigneur (ch. 13).
Telle est la lettre de Paul aux Hébreux, divine et radieuse harmonisation des deux Testaments, admirable complément de l’épître aux Romains et de celle aux Galates. Il est dit que « la Loi a été donnée par Moïse ; la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ » (Jean 1 : 17) ; tandis que les Romains et les Galates avaient surtout présenté cette grâce, les Hébreux présentent surtout cette vérité, que Jésus est venu apporter au monde. Au reste, l’auteur n’avance jamais rien, dans sa lettre, qu’il n’appuie de témoignages irrécusables de l’Ancien Testament, et ces témoignages, il les cite comme son collègue Pierre et lui-même l’avaient toujours fait, c’est-à-dire dans leur sens littéral, traditionnel et divin (Act. 3, 12...).
Admirablement conçue en vue des chrétiens hébreux à qui l’apôtre l’avait primitivement destinée, l’épître qui nous occupe n’était pas moins propre à affermir dans la foi les chrétiens hellénistes. Elle répond également aux besoins spirituels des chrétiens de tous les temps et de tous les lieux. On a dit : « Le judaïsme est de toutes les époques, parce qu’il est dans le cœur charnel de l’homme, et il faut lui montrer toujours de nouveau le seul souverain Sacrificateur venu « avec son propre sang » et « entré une fois pour toutes dans les lieux saints », pour en frayer l’accès à ses rachetés (9 : 12). Puis le danger des rechutes et des reniements de la foi est toujours présent dans l’Eglise, et il faut qu’une voix divine y fasse entendre sans cesse ce cri d’alarme : « Comment échapperons-nous, si nous négligeons un si grand salut ? » (2 : 3).
D’après E. Guers
A suivre