L'Eglise et le monde
L'Eglise et le Monde allaient leur propre chemin sur les rives changeantes du temps.
Le Monde chantait un chant assourdissant, et l'Eglise un cantique ravissant.
« Allons, donne-moi ta main, cria le Monde en liesse, et marche avec moi dans ce chemin ».
Mais la fidèle Eglise détourna sa tête pure, et solennellement répondit : « Je n'en ferai rien,
Jamais je ne te donnerai la main, et jamais je ne marcherai avec toi.
Ton chemin conduit à la mort éternelle. En tes paroles trompeuses je ne place point ma foi ».
« Allons, marche à mon côté un bout de route, dit le Monde avec gentillesse ;
Le chemin que j'emprunte est très agréable, et le soleil y brille sans cesse.
Ton sentier est jonché d'épines, rocailleux et étroit ; le mien est spacieux et sans obstacle.
Mon chemin est jonché de fleurs et de joyaux ; dans le tien, rien que larmes et souffrances.
Mon ciel est toujours bleu, je ne rencontre ni misère ni labeur ;
Ton ciel est toujours sombre ; ton sort, c'est le malheur.
Mon sentier est spacieux et juste, la porte est large et haute ;
Mon sentier est spacieux et juste, la porte est large et haute ;
Il y a assez de place pour que toi et moi nous marchions côte à côte ».
Timidement, l'Eglise s'approcha du Monde et lui donna sa main si pure.
Le vieux Monde la saisit et se mit en marche, déclarant dans un doux murmure :
Le vieux Monde la saisit et se mit en marche, déclarant dans un doux murmure :
« Ta robe est bien trop simple pour me plaire ; je te donnerai des perles pour parure,
Du velours et de la soie précieuse pour ta gracieuse silhouette, et des diamants pour orner ta chevelure ».
L'Eglise considéra alors la terne blancheur de son vêtement, puis le Monde, si lumineux,
Et rougit de honte lorsqu'elle vit se dessiner sur ses lèvres délicates un sourire dédaigneux.
« Je vais changer ma robe pour une autre, plus luxueuse », dit l'Eglise en souriant avec grâce.
Elle se défit alors de son vêtement blanc et pur, tandis que le Monde lui donnait à la place
Des vêtements de satin magnifique et de soie éclatante, des roses, des bijoux et des perles ;
Et elle laissa tomber ses cheveux chatoyants en boucles sur son front.
« Ta maison est sans beauté, dit le vieux Monde orgueilleux, je t'en bâtirai une semblable à la mienne,
Avec des tapis fleuris, des rideaux à dentelles et des meubles de style ».
Ainsi il lui bâtit une magnifique et luxueuse maison, vraiment belle à regarder.
Les fils et les filles de l'Eglise demeuraient là, brillants de reflets pourprés et dorés.
Des fêtes et des spectacles se tenaient dans ses portes, et le Monde et ses enfants y participaient ;
Rires, musique et divertissements retentissaient dans cette maison de prières.
Elle avait des bancs confortables pour que riches et puissants
S'y asseoient dans leur splendeur et leur orgueil,
Tandis que, pauvrement vêtus, les indigents
Restaient dehors, humblement assis sur le seuil.
L'ange de miséricorde survola l'Eglise, et chuchota : « Je connais ton péché ! »
L'Eglise regarda en arrière en soupirant : elle désirait voir ses enfants rassemblés.
Mais certains étaient au théâtre, et d'autres au bal de minuit,
Et d'autres encore dans les bars, s'enivrant ; il s'éloigna sans bruit.
Le Monde rusé lui dit gentiment : « Tes enfants ne font rien de mauvais ;
Ils s'adonnent simplement à d'inoffensives distractions ». Prenant le bras qu'il lui offrait,
Elle souriait, bavardait, et cueillait des fleurs, tout en marchant à ses côtés,
Alors que dans la géhenne des millions d'âmes immortelles étaient précipitées.
« Tes prédicateurs sont trop démodés et trop modestes, dit le Monde enjoué, d'un air méprisant.
Je ne veux pas que mes enfants entendent tes contes effrayants :
Ils parlent d'un étang de feu et de soufre, des tourments et des horreurs d'une nuit éternelle,
Ils évoquent un lieu que l'on ne devrait pas nommer en présence de si délicates oreilles.
Je t'en enverrai d'autres, bien meilleurs, raffinés, intelligents et bons vivants ;
Ils persuaderont les gens qu'ils peuvent vivre comme ils l'entendent, et aller au ciel en même temps.
Le Père est miséricordieux, grand et bon, tendre, juste et bienveillant.
Penses-tu qu'il ouvrirait le ciel à un enfant, aux autres le fermant ? »
Il introduisit donc chez elle maints théologiens de renom, érudits et cultivés ;
Et les vieux hommes modestes qui prêchaient la croix, de leurs chaires furent destitués.
« Tu donnes beaucoup trop aux pauvres, dit le Monde, bien plus que tu ne devrais donner.
Si les pauvres ont besoin d'abri, de nourriture et de vêtements, pourquoi t'en soucier ?
Allons, prends ton argent et achète-toi des robes magnifiques, de grandes maisons et des véhicules somptueux,
Des perles et des joyaux, des mets délicats et des vins fins, les plus coûteux.
Mes enfants raffolent de tous ces biens, et si leur estime tu veux gagner,
Tu dois faire comme eux, et dans le même sentier marcher ».
L'Eglise serra son porte-monnaie dans ses mains, gracieusement baissa la tête,
Et dit en gémissant : « J'ai trop donné d'argent. Je ferai comme vous avez dit, Monsieur ».
Ainsi elle ferma dédaigneusement les portes aux pauvres et n'entendit plus les pleurs des orphelins ;
Elle se détourna, dans ses robes magnifiques, des veuves qui venaient pleurer sur son chemin.
Les enfants du Monde et les enfants de l'Eglise marchaient ensemble, la main dans la main.
Seul, le Maître, qui discerne toutes choses, reconnaissait les siens.
L'Eglise alors s'assit à son aise et dit ; « Je suis riche et je me suis enrichie,
Et je n'ai besoin de rien, ni de rien faire, sinon rire, danser et festoyer aussi ».
Le Monde, sournois, l'entendait ; il riait dans sa barbe et, d'un ton railleur, se disait à lui-même :
« L'Eglise est tombée, la glorieuse Eglise ! Sa honte, voilà sa vantardise et son orgueil ».
L'Ange s'approcha du trône de la grâce, et murmura son nom en soupirant ;
Les saints turent leurs chants d'allégresse, de honte la tête se couvrant.
Et, dans le silence du ciel, la voix de Celui qui est assis sur le trône se fit entendre :
« Je connais tes oeuvres, et que tu dis : « Je suis riche », sans comprendre
Que tu es malheureuse et misérable, et pauvre, et aveugle, et nue devant ma face.
Reviens, et repens-toi, de peur que je ne te jette dehors, et que ton nom je n'efface ».
M.C. Edwards (Traduction libre de l'anglais)