La séparation du mal
Voyons, par exemple, les lettres écrites par le Seigneur aux sept assemblées d’Asie mineure à l’époque de l’apôtre Jean. Outre leur portée immédiate, ces lettres évoquent le développement historique de l’Eglise responsable.
Ephèse reçoit cette approbation du Seigneur : « Tu ne peux pas supporter les méchants » (Apoc. 2 : 2). C’était la situation du début.
A Pergame, le Seigneur doit reprocher : « Tu as là des gens qui s’attachent à la doctrine de Balaam » et « tu en as, toi aussi, qui s’attachent de même à la doctrine des Nicolaïtes » (v. 14-15). Des gens enseignaient de mauvaises doctrines et étaient supportés.
A Thyatire, le Seigneur exprime un reproche encore plus sévère : « J’ai contre toi que tu laisses faire la femme Jésabel qui se dit prophétesse : elle enseigne et égare mes esclaves » (v. 20).
Supporter ce qui ne devait pas l’être a conduit l’Eglise à la ruine. On n’a pas retenu ferme l’enseignement de la Parole de Dieu. On a accepté des adjonctions, des soustractions, des déformations. La pensée de Dieu a été largement mise de côté au profit de la pensée de l’homme. Le résultat est bien visible aujourd’hui : c’est la division et la confusion générales dans ce qui porte encore le nom d’Eglise.
Les paroles qu’Esaïe devait adresser à Israël ont toute leur valeur dans l’époque actuelle, et doivent nous interpeller : « Malheur à ceux qui appellent le mal bien, et le bien mal, qui mettent les ténèbres pour la lumière, et la lumière pour les ténèbres, qui mettent l’amer pour le doux, et le doux pour l’amer » (Es. 5 : 20). Le monde actuel, même quand il porte une étiquette chrétienne, prône la tolérance. Il ne s’insurge guère que contre l’intolérance. Chacun a le droit de penser et de faire ce qu’il veut, pourvu qu’il ne dérange pas son prochain. Les normes divines, les notions de bien et de mal enseignées dans les Ecritures, sont de plus en plus oubliées ou mises de côté.
L’assemblée à Ephèse haïssait les œuvres des Nicolaïtes, oeuvres que le Seigneur haïssait aussi (v. 6). Mais remarquons que cet attachement à la vérité - tout essentiel qu’il soit - n’est pas encore la preuve d’un bon état spirituel. Le Seigneur doit dire : « Mais j’ai contre toi que tu as abandonné ton premier amour » (v. 4). Là se trouve la source du déclin.
N’oublions pas la faiblesse qui caractérise la nature humaine, et qui demeure présente dans chaque croyant. N’oublions pas que « nous faillissons tous à bien des égards » (Jac. 3 : 2). Et surtout n’oublions pas l’immense grâce que Dieu nous a faite en pardonnant tous nos péchés, et dont nous avons encore besoin chaque jour de notre vie. La vie collective des croyants, que ce soit en famille ou en assemblée, n’apporte pas seulement les joies de l’affection et de la communion fraternelles. En raison de nos faiblesses personnelles, et de nos manquements petits ou grands, elle implique des difficultés que la chair tend vite à transformer en animosités et en querelles. La Parole de Dieu nous prévient à cet égard.
Le précieux passage de Matthieu 18 : 20, dans lequel le Seigneur donne la certitude de sa présence au milieu des deux ou trois réunis en son nom, est immédiatement suivi - et c’est frappant ! - par une question de Pierre : « Combien de fois mon frère péchera-t-il contre moi et lui pardonnerai-je ? Jusqu'à sept fois ? Jésus lui dit : Je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois » (v. 21-22). Donc 490 fois ! La parabole qui suit illustre notre comportement naturel. L’homme auquel une immense dette a été remise exige durement de son compagnon la petite dette qu’il a envers lui. Le Seigneur conclut en plaçant solennellement devant nous le devoir de « pardonner de tout votre cœur, chacun à son frère » (v. 35).
Supporter et pardonner vont ensemble. Au début des exhortations pratiques de l’épître aux Ephésiens - exhortations fondées sur la doctrine exposée dans les trois premiers chapitres - l’apôtre Paul place devant nous tout d’abord l’humilité, la douceur et la longanimité (une longue patience). Puis il ajoute : « Vous supportant l’un l’autre dans l’amour ; vous appliquant à garder l’unité de l’Esprit par le lien de la paix » (4 : 2-3). La réalisation de l’unité pratique dans la vie d’assemblée n’est possible que si nous nous supportons les uns les autres et savons pardonner. A la fin du chapitre, il dit : « Les uns à l’égard des autres, soyez bons, compatissants, vous pardonnant les uns aux autres, comme Dieu aussi, en Christ, vous a pardonné » (v. 32).
Nous trouvons le même enseignement dans l’épître aux Colossiens : « Vous supportant l’un l’autre et vous pardonnant les uns aux autres, si l’un a un sujet de plainte contre un autre ; comme le Christ vous a pardonné, vous aussi faites de même » (3 : 13).
Lorsqu’il s’agit des droits de Dieu, de sa sainteté, du maintien de la vérité divine, nous ne pouvons pas être indifférents au mal. Le supporter serait une infidélité envers Dieu. Mais lorsqu’il s’agit de nos droits, lorsque nous pensons être victimes d’un mauvais comportement ou d’une injustice de la part d’un frère ou d’une sœur, nous avons à supporter et à pardonner. L’apôtre dit aux Corinthiens : « Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt des injustices ? Pourquoi ne vous laissez-vous pas plutôt causer du tort ? » (1 Cor. 6 : 7).
Pierre nous encourage en nous disant : « C’est une chose digne de louange de supporter des afflictions par conscience envers Dieu, en souffrant injustement » (1 Pier. 2 : 19).
Dans la pratique, ces exhortations ne sont pas faciles à réaliser, surtout à cause de nos cœurs orgueilleux. Nous ouvrons facilement les yeux sur les manquements de nos frères et sœurs, et les fermons sur les nôtres. Parfois même, nous justifions notre dureté en mettant en avant le maintien des droits de Dieu.
« Supporter tout », dans le passage de 1 Corinthiens 13, signifie donc clairement : supporter sans limite dans le cadre de ce qui doit l’être. Mais cela ne doit jamais nous conduire à tolérer ce que Dieu condamne.
A plusieurs occasions, l’apôtre décrit les souffrances qu’impliquait pour lui le service qu’il avait reçu du Seigneur. Il dit à ce sujet : « Nous prenons de la peine, travaillant de nos propres mains ; injuriés, nous bénissons ; persécutés, nous le supportons ; calomniés, nous supplions » (1 Cor. 4 : 12-13). « Nous supportons tout, afin de ne mettre aucun obstacle à l’évangile du Christ » (1 Cor. 9 : 12). Et il dit à son enfant Timothée : « Mais toi, tu as pleinement compris ma doctrine, ma conduite, mon but constant, ma foi, mon support, mon amour, ma patience » (2 Tim. 3 : 10). S’il l’appelle à garder avec fermeté ce qui lui avait été confié, à se détourner résolument de ceux qui n’avaient que la forme de la piété (3 : 5), il l’exhorte pourtant à être « doux envers tous, capable d’enseigner, ayant du support, redressant avec douceur les opposants » (2 : 24-25).
Enfin, considérons l’exemple suprême de Dieu. Il a « supporté avec une grande patience des vases de colère tout préparés pour la destruction » (Rom. 9 : 22). Et dans ses voies envers Israël, avec quelle patience n’a-t-il pas supporté son peuple infidèle ! Cependant, l’alliance de la piété extérieure avec une marche dans le mal ont amené la patience de Dieu à son terme. Il a fait dire à son peuple par la bouche d’Esaïe : « Ne continuez pas d’apporter de vaines offrandes : l’encens m’est une abomination, - la nouvelle lune et le sabbat, la convocation des assemblées ; je ne puis supporter l’iniquité et la fête solennelle. Vos nouvelles lunes et vos assemblées, mon âme les hait ; elles me sont à charge, je suis las de les supporter » (Es. 1 : 13-14).
Et pourtant, ce Dieu dont la nature est « amour » (1 Jean 4 : 8, 16) hait quelque chose. Il hait le mal sous toutes ses formes. De nombreux passage des Ecritures nous le montrent (voir Deut. 16 : 22 ; Ps. 5 : 5 ; 11 : 5 ; Prov. 6 : 16 ; 8 : 13 ; Es. 61 : 8 ; Zach. 8 : 17 ; Mal. 2 : 16). Certains de ces passages identifient ceux qui sont caractérisés par le mal avec le mal qu’ils commettent (Ps. 5 : 5 ; 11 : 5 ; Prov. 6 : 16-19).
Or Dieu attend de nous - qui possédons sa nature parce que nous sommes nés de Lui - que nous ayons sa pensée et son estimation sur toute chose. Il travaille à cela dans nos cœurs par sa Parole qui nous instruit et par son Esprit qui forme nos pensées. Par une multitude d’exemples concrets de l’Ancien et du Nouveau Testament, Il nous révèle ce qui Lui plaît et ce qui Lui déplaît, et nous enseigne quelle est son appréciation des choses. Il nous dit : « Haïssez le mal, et aimez le bien » (Amos 5 : 15).
Ayons devant nous l’exemple suprême de Christ, au sujet duquel le psaume 45, puis l’épître aux Hébreux, rend ce témoignage : « Tu as aimé la justice et haï l’iniquité ; c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile de joie au-dessus de tes compagnons » (Héb. 1 : 9).
Une position équivoque
Josaphat marche quant à lui dans les commandements de Dieu et y encourage son peuple. Il se démarque, dans son comportement, de ce qui se faisait dans le royaume des dix tribus, sous la conduite du roi Achab et de sa femme Jésabel (v. 4). Mais cela ne l’empêche pas d’unir son fils par mariage avec une fille de ce couple impie (18 : 1). Cette alliance entraînera une série d’associations mauvaises: d’abord un festin en commun - une situation dans laquelle on n’ose pas dire non - puis une guerre menée en commun avec Achab, dans laquelle Josaphat va se trouver à un doigt de la mort. Mais l’Eternel use de miséricorde envers son serviteur qui crie à lui (18 : 31).
Rentré en paix dans sa maison, Josaphat reçoit la visite d’un prophète qui lui apporte un message de la part de Dieu : « Aides-tu au méchant, et aimes-tu ceux qui haïssent l’Eternel ? » (19 : 2).
La collaboration de Josaphat avec ce méchant - qui pourtant était roi sur une partie du peuple de Dieu - montrait qu’il fermait les yeux sur le mal. C’était une grave infidélité envers Dieu, qui appelait sur lui une sévère discipline. Mais Dieu n’est pas injuste pour oublier tout ce qu’il y a eu de bien dans la vie de Josaphat, et Il le mentionne en même temps qu’Il lui reproche son association (v. 2-3).
Le récit biblique nous conduit à penser que Josaphat s’est humilié. Le chapitre 20 - jour d’épreuve pour lui - nous le montre dans une foi et une confiance en Dieu remarquables. Hélas ! Josaphat retombera dans ce travers des associations malheureuses avec des hommes qui agissent méchamment (2 Chr. 20 : 35 ; 1 Rois 22 : 49-50 ; 2 Rois 3 : 7).
La haine du mal, dont nous venons de dire quelques mots, constitue la base de la séparation du mal, sur laquelle nous allons nous arrêter un peu maintenant.
Un enseignement tiré de l’histoire d’Israël
Nous savons qu’Israël n’a nullement répondu à ce que Dieu attendait de lui :
- soit il n’a pas réalisé la séparation d’avec les peuples qui l’entouraient, s’est mêlé avec eux, puis a adopté leurs coutumes et leurs idoles,
- soit il a rigoureusement maintenu une séparation extérieure, mais s’est glorifié de sa place privilégiée, gardant les formes du judaïsme, tout en ayant un cœur éloigné de Dieu. Son état est décrit, au temps d’Esaïe comme au temps de Jésus, par les mots : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais leur cœur est très éloigné de moi » (Matt. 15 : 8).
Dans l’époque chrétienne, les croyants ont été « retirés du présent siècle mauvais » (Gal. 1 : 4). En ce qui concerne leur appel, ils sont séparés du monde. « Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde », dit le Seigneur (Jean 17 : 14, 16). Mais nous courons les mêmes dangers qu’Israël : soit de nous conformer au monde qui nous entoure, soit de nous contenter d’une séparation extérieure qui laisse subsister le mal et le sommeil spirituel dans nos cœurs. Une religion faite de formes et d’habitudes conduit à perdre tout discernement spirituel, à confondre ce qui est important et ce qui ne l’est pas, et à avoir une mesure différente pour se juger soi-même et pour juger les autres. Le tableau que le Seigneur trace des scribes et des pharisiens en Matthieu 23 est impressionnant à cet égard.
L’apôtre nous avertit solennellement : « Ne vous mettez pas sous un joug mal assorti avec les incrédules » (2 Cor. 6 : 14). Il évoque par là des associations entre croyants et incrédules, en vue d’une marche en commun ou d’une collaboration dans ce monde. On peut citer l’exemple du mariage ou d’une association professionnelle, mais l’enseignement a une portée générale. Un tel lien est insensé, car « quelle relation y a-t-il entre la justice et l’iniquité ? ou quelle communion entre la lumière et les ténèbres ? et quel accord de Christ avec Béliar ? ou quelle part a le croyant avec l’incrédule ? » (v. 14-15). Il conduit le croyant à adopter les façons de faire et de penser du monde, à renier pratiquement son appel céleste et à déshonorer Dieu.
Souvenons-nous que nous sommes appelés à être les témoins de Christ et à faire briller sa lumière ici-bas. Ceci ne peut avoir lieu sans une véritable séparation du monde qui l’a rejeté. « N’ayez rien de commun avec les œuvres infructueuses des ténèbres, mais plutôt réprouvez-les aussi » (Eph. 5 : 11). Notre séparation n’est pas seulement une chose négative, une absence de liaison.
Elle a un caractère positif, celui d’une lumière qui brille dans les ténèbres. « Tout ce qui est réprouvé par la lumière est manifesté ; car ce qui manifeste tout, c’est la lumière » (v. 13). En nous conduisant comme « des enfants de Dieu irrépréhensibles, au milieu d’une génération dévoyée et pervertie », nous pouvons « briller comme des luminaires dans le monde » (Phil. 2 : 15). Ce n’est qu’en étant moralement séparés du monde que nous pouvons lui être utiles, par un témoignage clair rendu à Christ.
Nous avons ici la responsabilité de l’assemblée. Elle doit juger « ceux du dedans », en laissant à Dieu le soin de juger « ceux du dehors » (v. 12-13). Le principe : « Un peu de levain fait lever la pâte tout entière » (v. 6) - répété en Galates 5 : 9 à l’occasion d’un mal doctrinal - met en évidence la solidarité des croyants qui constituent l’assemblée. S’ils sont indifférents au mal, ils deviennent participants à celui-ci. Il est donc indispensable qu’ils s’en humilient, qu’ils le jugent et l’ôtent du milieu d’eux. « Otez le vieux levain, afin que vous soyez une nouvelle pâte, comme vous êtes sans levain » (v. 7).
La seconde moitié du chapitre met en évidence un point qui concerne notre responsabilité individuelle. Les nécessités de notre vie sur la terre impliquent certaines relations avec des gens caractérisés par le péché - quoique ces contacts doivent être marqués par une grande retenue. Mais pour que la discipline exercée sur une personne exclue de l’assemblée porte ses fruits et amène sa restauration, les relations des croyants vis-à-vis de lui doivent être plus distantes qu’avec les gens du monde (v. 9-11).
Les Corinthiens ont obéi à l’apôtre et se sont humiliés. Dans la seconde épître, il reparle de ce cas (2 : 5-11). Fort heureusement, la discipline de l’assemblée avait été une « punition », ou une répréhension, « infligée par le grand nombre » (v. 6) et avait produit la tristesse et la repentance. On pouvait maintenant envisager la restauration de celui qui avait été exclu.
Dans ce qui portait le nom d’assemblée, il y avait des enseignements vains et profanes, une impiété qui allait croissant, un mal qui allait ronger comme une gangrène. On s’écartait de la vérité, on enseignait des erreurs graves et on renversait la foi de quelques-uns (2 : 16-18). La confusion était telle qu’il pouvait devenir impossible de discerner qui appartenait au Seigneur et qui n’avait qu’une apparence de christianisme.
Mais dans un tel état de choses, la responsabilité du croyant demeure : « Qu’il se retire de l’iniquité (ou : de l’injustice), quiconque prononce le nom du Seigneur » (v. 19). C’est le principe que nous avons déjà rencontré plusieurs fois, sous diverses formes: la nécessité de nous séparer du mal. Rester associé à celui-ci est une façon de le cautionner et de s’en rendre solidaire.
L’apôtre poursuit en comparant l’Eglise responsable à « une grande maison », dans laquelle il y a toutes sortes de vases, « certains à honneur, d’autres à déshonneur » (v. 20). « Si donc quelqu’un se purifie de ceux-ci, il sera un vase à honneur, sanctifié, utile au maître, préparé pour toute bonne œuvre » (v. 21). La fidélité individuelle est toujours possible, quelle que soit la situation.
L’apôtre ajoute : « Mais fuis les convoitises de la jeunesse, et poursuis la justice, la foi, l’amour, la paix, avec ceux qui invoquent le Seigneur d’un cœur pur » (v. 22). Fuir le mal en ce qui concerne notre propre conduite, poursuivre les vertus chrétiennes en donnant la première place à Dieu et à ce qui est juste à ses yeux, et discerner « ceux qui invoquent le Seigneur d’un cœur pur » pour réaliser avec eux les bénédictions inaltérables attachées au rassemblement autour du Seigneur - voilà ce qui est placé devant nous.
J-A M – article paru dans le « Messager évangélique » (2008)