Moïse « à la brèche » pour le peuple de Dieu
Lire : Exode 32-34 ; Psaume 106 : 19-23
Il vaut la peine de considérer la conduite de Moïse lors de l'affaire du veau d'or. Sa foi, confrontée à une redoutable épreuve, ne fléchit pas. Il fait face avec simplicité et énergie à une situation pour laquelle il n'avait pas d'instructions précises, mais dans laquelle il agit selon la connaissance qu'il avait de l'Eternel. De sorte que Dieu lui ajoute toujours plus de lumière, comme le jour vient relayer un phare qui a brillé fidèlement dans l'orage et la nuit.
Le peuple avait fait le veau d'or, et s'était incliné devant lui. Rien ne pouvait faire que ce péché n'ait pas été commis, et qu'Israël ne soit pas coupable. Il avait violé le premier commandement de la Loi qu'il s'était engagé à observer. Que faire ?
Toute l'action de Moïse est inspirée non point par le désir de pallier ou d'excuser ce péché, mais par celui que la gloire de Dieu soit sauvegardée, et plus encore, rehaussée. Il est « à la brèche » pour Israël, qu'il aime non seulement parce que c'est le peuple auquel il appartient, mais parce qu'il est le peuple auquel l'Eternel a attaché son nom. Il ne peut donc être détruit, et cependant il le mérite. La gloire de Dieu serait atteinte, soit que ce peuple cesse d'être Son peuple, soit qu'il puisse se livrer impunément à l'idolâtrie.
C'est pourquoi, lorsqu'il s'adresse au peuple, Moïse revendique les droits de Dieu à juger un tel péché avec colère : Israël est le peuple du Dieu saint.
Mais c'est pourquoi aussi, lorsqu'il s'adresse à Dieu, Moïse s'appuie sur ce que Dieu avait promis avant qu'il soit question de la Loi. La puissance souveraine de Dieu doit se glorifier en grâce, sans que cependant le nom de l'Eternel puisse être, à un degré quelconque, associé au mal : l'Eternel est, de sa seule et propre volonté, le Dieu de ce peuple.
Moïse plaide, non point en mettant en avant des circonstances atténuantes, mais en remettant en mémoire devant Dieu ce que Lui-même a dit et fait (v. 11-13) :
- Israël est Son peuple ;
- L'Eternel a montré sa grande force en le délivrant - les Egyptiens concluraient de la destruction d'Israël que l'Eternel avait menti ou était impuissant ;
- Enfin, et par-dessus tout, l'Eternel a juré aux pères de donner Canaan à la semence d'Abraham. « Tu as juré… tu as dit…».
Telle est la foi de Moïse, rivée à la Parole de Dieu. Il ne montre ni hésitation ni doute. Il en appelle à Dieu jurant par Lui-même. Ce que Dieu a dit s'accomplira. Un obstacle s'élève, et le peuple montre ce qu'il est bien, hélas : un peuple de cou roide, un peuple de pécheurs. Mais le péché dominerait-il Dieu, pourrait-il L'empêcher d'accomplir ses décrets ? Dieu ne savait-Il pas Lui-même, lorsqu'Il jurait ainsi, que c'était un peuple de pécheurs qu'il prendrait en mains, et le savait-Il moins lorsqu'Il avait chargé Moïse de le conduire ?
« Celui qui aura péché contre moi, lui répond l'Eternel, je l'effacerai de mon livre » (v. 33). Mais certainement aussi la proposition de Moïse n'était pas une offense à la gloire de l'Eternel, bien au contraire. Moïse ne pouvait être accepté comme substitut, mais il l'est comme intercesseur. « Va, conduis le peuple où je t'ai dit. Voici, mon Ange ira devant toi : et le jour où je visiterai, je visiterai sur eux leur péché » (v. 34).
Dieu ne peut mentir, la gloire de l'Eternel est engagée, les promesses sans conditions demeurent. Moïse en était convaincu bien que le moyen d'accomplir les promesses ainsi faites le dépasse. Impossible pourtant que les desseins de la grâce de Dieu soient empêchés, même quand le peuple montre ce qu'il est. Et impossible, d'autre part, que Dieu passe sur le péché. Mais il Lui appartient, et à Lui seul, de concilier ces deux impératifs.
Moïse remet tout à l'Eternel. Sans doute, la Loi menaçait, mais il en avait brisé les tables, pour s'en tenir aux promesses antérieures à la Loi. Sans doute aussi, le gouvernement divin s'exerce dans le chemin de l'accomplissement de ces promesses, mais finalement la grâce triomphera. La foi se soumet à l'un, et se fortifie dans l'autre.
Il en est de même pour nous, et pour l'Eglise. La foi d'aujourd'hui, comme la foi d'alors, doit saisir cela. Dieu a dit, Il a promis, Il accomplira. Son gouvernement est à l'œuvre, pour la destruction de ceux qui n’ont que le nom de chrétien, sans posséder la vie divine. Mais Il agit aussi pour la discipline de ses enfants. A la fin du voyage, « selon ce temps il sera dit… : Qu'est-ce que Dieu a fait ? » (Nom. 23 : 23). Et c'est cette certitude qui doit être la base inébranlable de nos intercessions pour le peuple de Dieu.
Un jour devait venir où, sur une autre montagne, Moïse apparaîtrait en gloire avec Elie, pour y rencontrer Jésus et parler avec Lui de sa mort qu'Il allait accomplir à Jérusalem. Sans cette œuvre de la rédemption alors encore future - que Dieu était seul à connaître -, Il aurait entièrement détruit le peuple au pied du Sinaï, comme Il en avait fait la menace ; Moïse lui-même n'aurait pu être son « élu », ni « se tenir à la brèche ». Cela n'enlève rien à la beauté de la foi de Moïse, type de Celui qui est maintenant le seul Médiateur. Mais cela nous dit combien est grand notre privilège de pouvoir nous approcher par Jésus, en pleine assurance de foi.
La base initiale constituée par les promesses de Dieu se complète maintenant de cette autre : la mort de Christ. Moïse s'appuyait fermement sur la première et, portant son pied en avant, cherchait encore l'autre à tâtons. Nous avons sous nos pas l'une et l'autre. Où est notre « assurance de foi » ?
Non, Moïse ne peut se résoudre à un tel rôle. Pourquoi ? Encore et toujours parce que Dieu a promis, et que Dieu ne serait pas glorifié si ses liens avec Israël étaient coupés ! « Je serai leur Dieu », avait dit l'Eternel (Gen. 17 : 8). Moïse n'avait-il pas encore dans l'oreille la voix entendue autrefois en ce même Horeb : « J'ai vu, j'ai vu l'affliction de mon peuple » (Ex. 3 : 7) ? Lui-même avait « trouvé grâce » aux yeux de l'Eternel, mais à quel titre, sinon parce qu'il avait cru aux promesses que Dieu ne saurait renier, et comment, Dieu l'avait-il choisi sinon en vertu de ces promesses mêmes ?
« Considère que cette nation est ton peuple», dit Moïse, intercédant pour la troisième fois (v. 12-17). Il est beau de le voir s'enhardir encore et supplier : « Regarde, tu me dis : Fais monter ce peuple ; et tu ne m'as pas fait connaître celui que tu enverras avec moi… Si ta face ne vient pas, ne nous fais pas monter d'ici ». Il ne pourrait se contenter d'une puissance opérant en leur faveur mais distante et inconnue, d'une providence « extérieure » ; il lui fallait une présence. Il fallait que l'Eternel lui-même marche avec son peuple (v. 16).
Ainsi, Moïse peut dire : « Moi et ton peuple, nous serons séparés de tout peuple qui est sur la face de la terre ». Ce n'est pas seulement un peuple qui sera établi un jour dans le pays, mais un peuple avec qui Dieu se trouve alors qu'Il n'est pas connu ailleurs, un peuple avec qui Dieu entrera et demeurera, un peuple qui par cela même est exposé à la « visitation en jugement » s'il manque, mais un peuple parmi lequel tout croyant pourra toujours avoir affaire avec Dieu.
Pensée précieuse, mais solennelle, qui commande notre attention. Demander que le Seigneur marche avec nous suppose que nous avons conscience d'être ses enfants avec tout ce que ce titre comporte. Nous réclamons ses soins de Père, mais « nous invoquons comme Père celui qui sans partialité, juge selon l'œuvre de chacun » (1 Pier. 1 : 17). Rechercher sa communion c'est aussi accepter de cœur son intervention en discipline, sans laquelle nous serions des bâtards et non des fils (Héb. 12 : 8). Mais là se trouve également la source de bénédictions excellentes. Moïse en jouit magnifiquement pour lui-même, et pour ceux qui cherchent l’Eternel.
Au chapitre 32, nous trouvons : « Celui qui aura péché contre moi, je l'effacerai de mon livre » ; au chapitre 33, c'est : « Je ferai grâce à qui je ferai grâce » ; au chapitre 34 : « l'Eternel… pardonnant l'iniquité, la transgression et le péché », mais non pas au détriment de la justice puisqu'Il « ne tient nullement celui qui en est coupable pour innocent ». Savoir accorder ces choses était alors le secret divin ; mais maintenant, ce secret est révélé, savoir Christ et son œuvre.
La première chose est de détruire l'idole, de rendre le peuple conscient de son abjection (v. 20), puis d'exécuter le jugement avec le concours de « ceux qui sont pour l'Eternel », les fils de Lévi. Ainsi l'apôtre excitait-il les Corinthiens à une action vengeresse jusqu'à ce qu'ils aient montré qu'ils étaient « purs dans cette affaire » (2 Cor. 7 : 11). Moïse agit dans la claire compréhension des vrais intérêts du peuple de Dieu : avant que le levain ait fait lever la pâte tout entière, il faut l'ôter. Il faut enlever la souillure que ce peuple répand sur sa propre gloire (Ps. 106 : 20). Cela est douloureux mais nécessaire.
Seulement, prenons garde aussitôt à l'autre côté des choses, et ne manquons pas, effectivement, d'amour. Que de fois il y a véritablement de la dureté de cœur dans la façon dont nous traitons ceux qui tombent ! La chair veut corriger la chair, et, faite sans amour, la répréhension ou la discipline ne produit que des fruits amers. Moïse censure Aaron avec colère, il humilie le peuple en lui faisant boire l'eau où il a mêlé la poudre de l'idole brûlée au feu, il appelle les Lévites à tirer l'épée contre leurs proches, mais en réalité il aimait le peuple bien mieux qu'Aaron se prêtant au mal. C'est le même Moïse qui « s'est tenu à la brèche » devant l'Eternel pour ces coupables, qui va, le lendemain, remonter vers Lui en s'offrant comme victime expiatoire pour eux. L'énergie de sa conduite à leur égard procède de son amour pour eux, qui sont le peuple de l'Eternel.
A sa sainte indignation de Moïse se joint une ardente douleur : il va se prosterner devant l'Eternel quarante jours et quarante nuits. Il le supplie à cause du péché qu’ils ont commis, et il intercède spécialement pour Aaron (Deut. 9 : 20, 25-29). Il fallait traiter le mal comme il le mérite mais Moïse en prend l'amertume sur lui. Méditons beaucoup cet exemple, de même que celui de Paul parlant aux Corinthiens le langage de l'amour sans hypocrisie. Mais bien davantage encore, pensons à Celui qui pleura sur la ville dont Il annonçait le jugement, et qui, lorsqu'Il proférait tant de « Malheur à vous » sur les chefs de la nation coupable était sur le point de mourir pour cette nation.
Cette position prise, la marche est à poursuivre ; « nous n’avons pas ici de cité permanente, mais nous recherchons celle qui est à venir » (Héb. 13 : 14). Il faut pour cela que Dieu aille avec Son peuple. Nous avons déjà considéré Moïse intercédant pour cela, mais le faisant dans cette position de séparation et de bénédiction - l'Eternel parle avec lui comme avec son ami. Il y a un but (33 : 1), mais il y a un chemin, celui de l'Eternel (v. 13), et il y a l'Eternel allant avec son peuple dans ce chemin (v. 16). La foi ne peut avancer autrement. Elle compte sur Dieu, mais avec la crainte qui est due à Celui qui agit avec support, en grâce, mais qui est un « feu consumant ».
Mais ce peuple garderait-il la Loi ? Incapable de le faire dans les conditions précédentes, celles de son engagement, il se montre incapable maintenant de supporter même le rayonnement de la face de Moïse, l'éclat de la gloire divine brillant en grâce, et en grâce donnant la loi. La Loi demeure la Loi et le peuple, hélas, reste ce qu'il est. L'âme sincère pouvait dire, mais sans pouvoir aller au-delà : L'Eternel pardonne, Il continue à s'occuper de nous, sa grâce ne nous manquera pas, mais comment garderai-je cette Loi redoutable ? Elle était le ministère de la mort et de la condamnation parmi un peuple de cou roide. Le fidèle ne pouvait que le reconnaître, accepter sa condamnation comme pécheur, mais la manière glorieuse dont la Loi était introduite donnait l'espérance à sa foi. Si Dieu n'avait été que le Dieu de la Loi, Il ne serait pas monté avec le peuple, parce que « tu es un peuple de cou roide » (33 : 3), mais Il monte comme Dieu de la grâce pour cette même raison, parce que « c'est un peuple de cou roide » (34 : 9). Il est le Même, mais Il se révèle toujours davantage.
Cette gloire nous est-elle chère, et ceux sur qui elle repose nous sont-ils chers ? Nous ne sommes pas meilleurs que ces Israélites, et nous sommes plus responsables, appelés à marcher dans la lumière apportée par Christ. Dieu ne sacrifiera pas plus ses droits pour nous que pour eux, et ne permettra pas que son nom soit associé aux idoles de ce monde devant lesquelles nos cœurs s'inclineraient si aisément. Mais Dieu donne toujours à la foi les ressources répondant à la responsabilité.
La foi possède maintenant un objet que Moïse ne pouvait entrevoir que confusément. Christ est tout :
- le chemin, la vérité, la vie (Jean 14 : 6). Il n'est pas seulement le moyen d'aller au ciel, Il est le chemin sur la terre, et Il est « tous les jours » avec les siens (Matt. 28 : 20).
Frères, comportons-nous « en hommes », fortifions-nous (1 Cor. 16 : 13). Si affligeant que soit l'état du peuple de Dieu, la place du fidèle est « à la brèche », comme Moïse, comme Paul assiégé tous les jours par « la sollicitude pour toutes les assemblées » (2 Cor. 11 : 28). Les ressources de la foi sont les mêmes en tous temps ; comme eux, employons-les, dans la séparation du mal, du monde, la défiance de nous-mêmes, le sentiment que tout est grâce. Nous excuser sur notre faiblesse, c'est abaisser le niveau divin ; mais penser et agir comme si Dieu était désarmé par notre infidélité Lui est aussi une grave offense.
A.Gibert - « Messager évangélique » (1953 p. 169-181)